Luc Lang : Entre deux guerres
Lors d’une entrevue avec l’écrivain français Luc Lang, joint à New York où il est de passage avec son dernier-né, 11 septembre mon amour, une question brûle les lèvres: est-il allé sur le site de Ground Zero? "Oui. C’est très émouvant d’y aller, on sent la douleur en même temps qu’un désir de reconstruire; mais ce qui me choque, c’est l’inscription sur la plaque commémorative: "Les héros du 11 septembre". Comme si ces gens avaient désiré être des héros ce jour-là!"
Luc Lang a du mal à cataloguer son sixième livre, qui relève à la fois du récit, du roman, de la poésie incantatoire et des pensées politiques. Le 11 septembre, l’écrivain parcourait en pick-up le Montana, où il avait rendez-vous avec des Indiens dans leurs réserves. On the road, au milieu de magnifiques et rutilants paysages admirablement décrits… Mais la tragédie surgit et son séjour chez les Blackfeet prend une autre tournure. Tout comme sa plume. Une plume urgente, car l’auteur ressent vivement le besoin de sortir de cette expérience terrible.
Le livre, composé de cinq parties, s’ouvre sur les voix. Celles de milliers de personnes prisonnières des tours et condamnées à s’éteindre. Mais avant, sur leurs portables, elles composent un numéro, le dernier. Des voix "qui parlent aux êtres aimés. Qui étreignent ceux qu’on va quitter, ceux qu’on n’étreint plus qu’avec des mots. L’idée d’écrire les voix était de retenir ces instants de vie extrême et la résistance face à la mort", confie l’auteur. Puis s’ensuit l’égrenage des noms, ceux des victimes, bien sûr. En guise d’hommage.
Sur la trace des Indiens, c’est une Amérique en état de choc qu’il trouve au rendez-vous. Mais la troisième partie du livre, Aux armes, décrit une Amérique fourbissant ses armes et fomentant sa vengeance. Coucher sur papier la violence de l’horreur, telle que ressentie par Lang, renvoie à diverses considérations sur les conflits passés et actuels qui secouent la planète. En fait foi le titre de l’ouvrage, référence à Hiroshima mon amour. Mais comment ne pas faire le lien, direct ou non, entre la déculturation des Indiens et le 11 septembre? "Il y a un lien dans une résonance entre des victimes civiles à des époques différentes. On n’est pas dans un rapport compassionnel mais dans un rapport d’instrumentalisation des victimes." Signe de cette instrumentalisation, le drapeau américain planté dans les décombres le jour même du drame, "comme si c’était un acte militaire envers des militaires", constate vertement Lang. Le 11 septembre renvoie à des traumatismes antérieurs du côté des Indiens.
Comble de l’ironie, à son départ pour l’Europe, dans l’aéroport pourtant sur le pied de guerre, les détecteurs de métaux ne repèrent pas les anciennes armes indiennes que Lang trimballe, soigneusement emballées dans son bagage de cabine, et qui pourraient être aussi meurtrières qu’un exacto!
Il n’y a pas que l’Amérique en état de choc, mais aussi l’Amérique dans tous ses États. Cette caricature humaine que décrit l’auteur vise à provoquer une réflexion qui déborde l’idée que l’Européen se fait du Far West. "C’est plutôt un grossissement, un effet de loupe tel que s’y emploie la littérature. Il y a arrêt sur image, arrêt du mouvement qui sert à révéler des événements", souligne Lang.
Le 13 novembre, à 20 h, Luc Lang sera au Carrefour du Salon du livre dans le cadre des événements Metropolis Bleu. Au menu: entrevue et lecture d’un passage de son livre.
11 septembre mon amour
De Luc Lang
Éd. Stock
2003, 250 p.