Pascal Dessaint : Crimes contre l'humanité
Livres

Pascal Dessaint : Crimes contre l’humanité

Avec sa gueule vaguement Vincent Cassel et son regard railleur, l’auteur français Pascal Dessaint débarque en ville. On risque fort de le voir traîner dans les environs du Carrefour du polar, lui qui publiait son neuvième roman, Mourir n’est peut-être pas la pire des choses, chez Rivages au printemps dernier.

Dans les univers troubles de Pascal Dessaint, l’homme est un loup cupide qui salit son espace. Toulouse, juin 2000, l’enquêteur Félix Dutrey découvre Jérômine Gartner, biologiste, nue et étranglée dans son fauteuil. Une scène de crime qui n’a rien d’exceptionnel mis à part quelques détails: l’emplacement des meubles, la climatisation réglée à 5 degrés Celsius et 14 menus objets retrouvés dans la gorge de la victime: 7 grains de riz et autant de fragments de métal. Pour ses amis, "[la] mort de Jérô est un malheur de trop". À l’approche de la quarantaine, Simon, Marthe, Suzanne et Cédric, des idéalistes névrosés qui n’hésiteraient pas à sacrifier la vie d’un homme pour rescaper une grenouille, sont en route vers le cynisme. Ils se souviennent des étés passés où, à demi nus dans la piscine creusée, ils échangeaient sur le sort des ours, Konrad Lorenz et la nomenclature des violettes, en avalant des moules fraîches et des infusions de millepertuis.

Mourir n’est peut-être pas la pire des choses n’est peut-être pas le meilleur roman de Pascal Dessaint, le lire n’étant pas non plus la pire des choses qui puisse nous arriver. Un curieux paradoxe vient briser le roman et empêche le projet d’aboutir. Du côté des bons coups, il y a les personnages, conscientisés et tendance bio, rarement rencontrés dans le polar. Dessaint prend position par le truchement du roman et s’engage de façon tout à fait louable, citant Richard Desjardins en début de chapitre: "J’aimais déjà l’artiste, et j’ai découvert l’homme, que j’adore, confie-t-il. Un moment, des "humains" se rencontrent, cela paraît évident, parce qu’il est question peut-être de combattre ensemble, de vaincre l’adversité… Nous allons, je crois, dans le même sens, parce que nous sommes partisans de la beauté!" L’auteur boucle le tout par un avertissement inquiétant sur la disparition des espèces: "L’homme n’est qu’un animal parmi d’autres. Notre tour viendra." Au-delà du meurtre de Jérômine, il y a le meurtre d’une planète et de ses écosystèmes. Soit. On veut bien.

Mais d’autre part, il y a l’enquêteur, Félix Dutrey, un personnage prévisible qui vient embarrasser le roman de clichés, dont l’"inévitable" baise avec une blondinette en salopette venue livrer un détail éclairant. Dessaint, qui a lu son premier policier à l’âge de 25 ans et revendique comme modèles d’écrivains les Henri Miller, Charles Bukowski et Réjean Ducharme, n’innove pourtant pas au chapitre de l’investigation du meurtre et du déroulement de l’enquête. Jouer avec les codes du polar est un art complexe, mais de la part d’un auteur qui réussit si bien à actualiser les personnages, on s’attendait à plus.

Pour découvrir Pascal Dessaint au meilleur de sa forme, il vaut mieux revenir en arrière et lire Du bruit sous le silence, un roman acide qui se déroule dans le monde du rugby, toujours à Toulouse, la ville rose, paru il y a quatre ans et ayant remporté le Grand Prix de littérature policière. Alors on touchera à ce qu’il y a de vibrant chez Pascal Dessaint.

"J’essaie de ne pas penser à mes lecteurs quand j’écris, mais quand je les rencontre, ils me semblent donner un sens à ce que je fais." Ceux-ci pourront faire sa connaissance au Salon du livre lors de trois séances de dédicaces (consulter la programmation), ou encore aller l’entendre en tête-à-tête avec Gilles Archambault au Carrefour du crime, samedi dès 18 h.

Mourir n’est peut-être pas la pire des choses
de Pascal Dessaint
Éd. Rivages
2003, 240 p.