Raphaël Korn-Adler : Perdre la carte
Livres

Raphaël Korn-Adler : Perdre la carte

"Si vous désirez une avance de fonds, faites le 3. Si vous souhaitez entendre de nouveau ce message, faites le zéro…" À mesure que le monde s’ouvre, il se referme encore davantage pour certains.

Faites le zéro… est le troisième roman de Raphaël Korn-Adler, médecin et écrivain né en Belgique (de parents roumains), résidant au Brésil depuis l’âge de 18 ans. Le titre du livre réfère au système de boîtes vocales qui nous accueille quand on appelle une compagnie de cartes de crédit. Et quand, en détresse dans un pays étranger, la seule voix qui parle notre langue se trouve à ce numéro, on a l’impression que le préposé au bout du fil est notre meilleur ami. Du moins, tant qu’il nous reste du crédit…

"Ce livre raconte les difficultés de communication dans un monde qui se veut extrêmement communicatif", signale l’auteur. Il met en scène Lucio, un modeste contremaître qui, à peine sorti de la misère noire toujours menaçante dans les mégapoles, désire impressionner sa copine en l’invitant au Québec. Lui et Maria, une secrétaire à l’insatiable appétit sexuel, n’ont jamais pris l’avion (à peine sont-ils déjà sortis de Sao Paulo) et ne parlent ni anglais ni français. Mais ils sont amoureux, sympathiques, et ils ont des cartes en main, d’appel, mais surtout de crédit.

Comme chez Kafka, les structures administratives ou gouvernementales sont présentées dans toute leur lourdeur. Apparemment indifférents, leurs représentants sont d’une arrogante efficacité quant au respect des règlements; pour ce qui est du discernement et de l’objectivité, eh bien, ils passent leur tour. D’entrée de jeu, nos protagonistes ont maille à partir avec le tarmac et ses alentours. Pour Maria et Lucio, la clientèle d’aéroport a l’air plus snob, plus sophistiquée, plus riche qu’eux. Déjà, il y a une division, mais il n’y a pas que ça. "Dans les aéroports, tout est fait pour intimider. Mes personnages ne savent pas comment s’adresser au personnel, aux policiers, à tous ces gens complètement robotisés. L’aéroport est devenu un monde à part. On est lié. On ne peut aller que dans certains endroits, il y a des portes interdites partout et on se permet de fouiller nos bagages", affirme l’auteur, qui dit s’inquiéter de tous ces aspects de la vie moderne qui nous font croire à une vie meilleure. "Je me préoccupe beaucoup du genre de vie que le monde actuel nous offre et nous réserve. C’est la complexité qui se cache derrière une apparente facilité qui m’inquiète. Je ne sais pas où l’on s’en va."

"Le monde d’aujourd’hui est divisé en deux: les gens branchés et les autres." On revient à la communication, aux malentendus et à l’isolement qui peuvent en découler. "Je suis neurologue, notre cerveau est le sommet de l’évolution qui nous permet de communiquer verbalement et symboliquement comme aucun autre animal. Et quand je vois des gens qui n’arrivent pas à se faire comprendre, je sais qu’ils finissent par être détestés. Ça me touche."

Korn-Adler nous offre, lui, un livre très communicatif, drôle et touchant.

Faites le zéro…
De Raphaël Korn-Adler
Éd. HMH
2003, 344 p.