Middlesex : Mélange de genres
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Middlesex : Mélange de genres

Avec Middlesex, prix Pulitzer 2003, JEFFREY EUGENIDES, auteur des Virgin Suicides, signe son roman le plus complexe et raconte l’histoire d’un hermaphrodite vivant entre deux cultures. Voyage au coeur de  l’identité.

"J’ai eu deux naissances. D’abord comme petite fille, à Detroit, par une journée exceptionnellement claire du mois de janvier 1960. Puis comme adolescent, au service des urgences d’un hôpital proche de Petoskey, Michigan." Ainsi s’amorce l’étrange roman de l’Américain Jeffrey Eugenides, qui retrace la vie pour le moins compliquée de Calliope/Cal Stéphanides, hermaphrodite de 41 ans, fruit d’un gène mutant (porteur d’un déficit en 5 alpha-réductase de type 2 pour être exact), né de parents grecs dans l’Amérique turbulente des années 60. Roman-fleuve qui regorge de détails historiques, biologiques, personnels, fable réaliste aux proportions épiques, Middlesex impressionne.

Eugenides n’a pas peur de faire ses devoirs. Il place chaque action de ses personnages dans son contexte social, familial et politique. Il prend le temps de planter ses décors, d’explorer des tangentes qui ne sont pas directement liées à la vie privée de son héros. Pendant toute la première partie du roman, d’ailleurs, Cal s’efface et prend le rôle d’un narrateur à l’identité floue, ni homme ni femme, placé au-delà du temps pour retracer les origines de sa mutation (le mariage incestueux de ses grands-parents, frère et soeur) et en profite pour nous donner, de son point de vue unique, une petite leçon d’histoire. Car Middlesex n’est pas seulement l’histoire d’un destin atypique, c’est une saga historique qui s’étale sur une période de 80 ans, de la fuite des grands-parents de Calliope/Cal vers les États-Unis lors des conflits gréco-turcs du début du siècle, en passant par la prohibition, jusqu’aux émeutes raciales de Detroit en 1967, pour finir à la vie tranquille du Berlin d’aujourd’hui.

Quand vient le tour de Cal de faire son apparition comme protagoniste incarné, un bon tiers du roman est passé. On s’attend ici à des détails juteux sur la vie sexuelle, sur le développement physique de Calliope qui, au fur et à mesure que l’adolescence avance, s’éloigne de la jolie petite fille qu’elle était pour devenir Cal, l’homme. Mais Eugenides ne tombe pas dans le piège du sensationnalisme. Cal n’est pas un monstre et Middlesex, pas un cirque. Son parcours est traité comme celui d’une adolescence presque normale. Les transformations, certes radicales, du corps de Calliope sont surtout une métaphore du passage à l’âge adulte et des étapes qui le jalonnent: la découverte de son corps, de son identité, de sa sexualité propre. Middlesex est un roman sur l’identité et les parts culturelles et physiques qui la constituent. Car Cal n’est peut-être pas le personnage de ce roman qui vit la transformation la plus majeure. Il faut trois générations à sa famille pour s’intégrer complètement dans cette Amérique si dépaysante pour un esprit méditerranéen. Serait-il plus facile de changer de sexe que de changer d’identité culturelle?

Middlesex
De Jeffrey Eugenides
Éd. de l’Olivier
2003, 678 p.