Les oiseaux déguisés : Briller par son absence
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Les oiseaux déguisés : Briller par son absence

Briser un mystère n’est pas sans risque. Jacques Lazure, scénariste, nouvelliste, romancier et auteur de livres jeunesse, met en scène, avec Les oiseaux déguisés, un homme amnésique qui représente une énigme vivante pour son entourage. Presque toujours silencieux, il laisse parfois échapper des phrases incohérentes aux sonorités poétiques. Pourtant, la vie de quelques personnes semblent tourner autour de lui, de son mutisme. Retour dans le passé de Bernard, un original mystérieux.

Quelle est la part du beau dans ce que nous ne connaissons pas? La vérité peut-elle être si laide qu’on la camoufle et fait l’autruche au point d’en perdre la raison? C’est ce que Julie, la nièce de Bernard, craint en entreprenant une fouille impudique dans le passé trouble et douteux de son oncle, ex-drogué et alcoolique. Ce qui débute comme une chasse au trésor, afin d’éclaircir les causes d’un mutisme à défaut de pouvoir ramener son oncle à la raison (espoir à peine voilé qui propulse Julie), finit par effrayer la jeune fille, qui n’est plus certaine du tout de vouloir savoir quoi que ce soit sur la véritable vie de son oncle marginal.

Julie idolâtre cet oncle qui racontait des histoires fantastiques lorsqu’elle était enfant. L’amour qu’elle lui porte encore, en quelque sorte, la tient en otage. Seule visiteuse du patient, elle apporte des livres de poésie qu’elle lit à voix haute dans le but de provoquer son oncle et de renouer le dialogue. Gaston Miron, Marie Uguay et d’autres poètes sont cités dans l’appel des mots.

Un roman publié, un manuscrit, une tortue étrange en pâte à modeler, quelques photos et plusieurs histoires apprises par coeur, voilà ce que Julie possédait de son oncle avant que Mathieu, un préposé aux bénéficiaires de l’institut psychiatrique, arrive avec des éléments nouveaux. Ce dernier, secrètement amoureux de Julie, cherche un prétexte pour entrer en contact. Comme il est un amateur de musique des années soixante, il découvre alors le passage bref, mais significatif, de Bernard dans le monde des arts expérimentaux et psychédéliques. S’ensuit alors une quête de vérité se traduisant par un voyage menant à Londres et à Cambridge, où une communauté de lightfools (débiles légers) vivent dans les arbres comme des oiseaux déguisés, puis jusqu’au Portugal, précisément aux Açores, dans un monde plus douillet que l’ordinaire connu de l’oncle Bernard.

Dans ce roman, on circule dans les univers de la souffrance propres au fado, comme on marche sur la frontière de l’inaudible en avançant dans la musique d’avant-garde, si brillante qu’elle semble toujours prête à basculer dans la folie. Bernard, l’absent si présent, semble avoir tout fait pour toujours demeurer dans la marge. Mystérieusement envoûtant, il a toute sa vie fasciné les gens sur son passage. C’est autant ce genre de succès trop confortables pour le précurseur qu’il était, que son passé, qu’il semble vouloir fuir jusque dans la maladie.

Un peu à l’image du personnage, le roman, très bien écrit, rejoint le coeur et la tête.

Les oiseaux déguisés
De Jacques Lazure
VLB éditeur
2003, 176 p.