Rencontre: George Szanto : Raison hantée
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Rencontre: George Szanto : Raison hantée

Dans le deuxième tome de sa trilogie mexicaine, c’est un peu de lui-même que l’écrivain GEORGE SZANTO met en scène. On en parle avec lui.

Il est né en Irlande de parents austro-hongrois. Il a émigré aux États-Unis, où il a décroché un doctorat en littérature comparée de l’Université Harvard, pour ensuite venir enseigner à l’Université McGill. Aujourd’hui retraité, il vit sur la magnifique île Gabriola en Colombie-Britannique, où il continue d’écrire sur… le Mexique. Rencontre avec George Szanto, citoyen du monde.

La Condesa Maria Victoria est le deuxième tome de sa trilogie mexicaine, précédé de La Face cachée des pierres, qui lui valut le National Magazine Award (pour un chapitre) en plus d’être finaliste au Prix du Gouverneur général en 2001. Le Second Regard paraîtra l’an prochain, toujours chez XYZ éditeur. "Aller au Mexique provient d’une idée pratique. À l’époque où j’enseignais encore à Montréal, j’ai fait face à une situation plutôt difficile. J’ai donc voulu, sinon fuir, du moins m’évader quelque temps. J’ai alors pris une année sabbatique, sans solde, et je me suis dit que j’irais aussi loin que possible… Or, le Mexique semblait suffisamment loin et représentait une destination logique car abordable et invitante pour moi." Un peu comme le Jorge du roman, George Szanto, qui voyage lui aussi avec sa famille, bénéficiait en effet de plusieurs relations liées au monde littéraire dans ce pays du Sud. Mais contrairement au personnage, l’auteur, membre de la Société royale du Canada, mettait les pieds au Mexique pour la première fois lorsqu’il a entrepris sa trilogie. Si ça n’avait pas été de la logistique familiale, Szanto serait probablement parti pour la Sicile, où sa fiction aurait pris un autre virage.

L’histoire présente Jorge, un écrivain canadien qui tente de concilier une lune de miel à Michoacuaro en présence de sa fille, née d’un précédent mariage, et une mission que le P.E.N. Club (Poets, essayists and novelists, organisme souvent associé à Amnistie internationale pour la défense d’écrivains emprisonnés) lui a confiée: aider Mono Loro, un romancier emprisonné injustement selon la célèbre organisation internationale. Mono Loro est le pseudonyme de Joaquin Chuscadon, un prêtre militant qui, avec sa soeur activiste de Guadalajara (elle prône le droit à la contraception et à l’avortement), trouble le silence habituel qui entoure les opérations douteuses de certains habitants influents. Chuscadon est accusé d’avoir attaqué une banque. En un rien de temps, on glisse dans le monde fascinant, et souvent choquant, de l’Opus Dei et du Ramus Dei. Deux mouvements radicaux qui travaillent en marge de la voie habituelle de l’Église. Dans cette histoire, le pape Paul VI a été enlevé "parce qu’il s’opposait aux évêques diaboliques" mais il vit toujours, et Jean-Paul 1er a été assassiné pour les mêmes raisons.

Mystères de la foi
"Je suis content de mon travail quand j’ai réussi à éviter la théorie", explique Szanto. L’intellectuel s’efface autant que possible lorsqu’il aborde l’écriture romanesque ou dramatique. "J’essaie d’oublier complètement que j’ai été professeur. Je suis maintenant moi-même: un créateur. Je dois ainsi trouver une autre langue à écrire que celle, académique, proche du latin, abstraite pour le néophyte, dont les mots appartiennent à un champ spécifique. Alors quand j’écris un roman, je suis beaucoup plus anglo-saxon. Les mots sont plus germaniques et tentent d’être le plus concrets possible. C’est une subdivision importante", affirme l’auteur, qui avoue appartenir à la tradition, très américaine, du "tell me a good story".

Il y a pourtant quelque chose de gidien dans la façon de Szanto de construire un roman. Bien sûr, on pense aux Caves du Vatican et ses récits de la franc-maçonnerie, mais pour la forme, c’est surtout Les Faux-Monnayeurs qui nous viennent à l’esprit. Parce qu’il met en scène un écrivain qui nous rappelle l’auteur, oui, mais surtout par cette habile mise en abyme qui nous entraîne dans de multiples intrigues avec, en toile de fond, une enquête policière. Si la structure rappelle Gide, l’univers de Szanto s’en éloigne considérablement. En effet, le personnage principal traduit le roman écrit par le prêtre au fur et à mesure que l’histoire avance. Et ce récit dans le récit, qui se déroule au 18e siècle et qui raconte l’histoire étrange et fabuleuse de la condesa Maria Victoria, une morte qui hante les champs et collines de la communauté religieuse de Nueva Benén, flirte avec le fantastique et le monde des phénomènes inexpliqués.

"Il y a très longtemps, se souvient le romancier, j’ai pris un cours de biologie et le professeur avançait deux principes importants: il y a des phénomènes biologiques compréhensibles et d’autres qu’on ne comprend pas encore. Et on pouvait toujours, dans ce cours, reprendre nos examens car il y avait, pour ce professeur, toujours au moins deux résultats possibles, sinon deux niveaux de compréhension. Je considère que l’on devrait appliquer le même raisonnement à l’histoire du monde."

Ce roman, intelligemment traduit par l’écrivain François Barcelo, nous entraîne efficacement dans un monde philosophico-religieux écrit par un auteur à l’esprit pourtant scientifique. "Des choses existent même si on ne comprend pas exactement leur fonctionnement", affirme Szanto, qui peut aisément se cacher derrière les propos de Lazaro, l’un de ses personnages: "Une belle histoire non? Moi aussi, j’aimerais y croire."

La Condesa Maria Victoria
de George Szanto
XYZ éditeur
2003, 336 p.