L'Ombre de Dieu (Les Chercheurs de trésor, volume 1) : Nations unies
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L’Ombre de Dieu (Les Chercheurs de trésor, volume 1) : Nations unies

L’histoire se passe à Bagdad. Pas la Bagdad appauvrie et humiliée qu’administre aujourd’hui l’occupant américain, mais la prospère et glorieuse Bagdad de l’an 808 après Jésus-Christ, celle du calife Haroun-el-Rashid, cinquième souverain de la dynastie Abasside, dont l’empire s’étendait du Maroc à l’Indus.

Eux, ce sont les "Chercheurs de trésor". Ils sont au nombre de sept et forment une corporation secrète chargée occasionnellement de missions très spéciales pour la plus grande gloire de Dieu. C’est le Bourreau qui les a convoqués cette fois-ci, dans leur repaire souterrain en forme de vase, pour leur montrer une pièce d’or dépourvue d’ombre trouvée dans les poches de son dernier supplicié. Remontant la piste d’intangibles voleurs, les chercheurs de trésor parviendront jusqu’au Prophète voilé, mage puissant dont personne n’a jamais pu apercevoir le visage et qui dérobe les ombres des êtres humains pour s’en fabriquer une armée de "dîvs" afin de s’emparer du trône du calife.

Depuis L’Ascension du haut-mal (cinq volumes parus à L’Association), belle oeuvre autobiographique consacrée à l’épilepsie de son frère aîné, David B. ne s’était lancé dans aucune série d’envergure, réalisant quelques albums en solo et des débuts de séries à quatre mains (qui n’ont pas encore eu de suite) avec ses vieux complices Emmanuel Guibert (Le Capitaine écarlate), Joann Sfar (Urani, la ville des mauvais rêves) et Christophe Blain (Iram Lowatt & Placido). Avec Les Chercheurs de trésor, le bédéiste français se lance enfin dans un nouveau cycle qui risque de connaître une belle carrière, son canevas laissant présager des intrigues aussi diverses que fantastiques.

Liés par un objectif commun, les membres de cette "ligue de gentlemen extraordinaires" appartiennent à des professions et à des ethnies fort différentes, tour à tour utiles dans le cadre de leurs enquêtes: le Derviche est kurde, le Médecin est arménien (donc chrétien), l’Hérétique est un marchand de farine daylamite, le Chevalier est sunnite, le Bourreau est juif, le Voleur est chiite et le Forgeron est mazdéen. Cette confrérie d’initiés ne se prend heureusement pas toujours au sérieux, particulièrement lorsqu’il s’agit de comparer leurs professions respectives: visitant le cachot du Bourreau, le Médecin s’étonne de ce que ses instruments de travail soient à peu près les mêmes que les siens mais en plus grand, tandis que le Forgeron n’aime pas trop voir le même Bourreau envahir sa forge et détailler ses outils comme d’éventuels engins de torture.

L’Ombre de Dieu, premier épisode du cycle, est empreint d’un ton sarcastique, mais aussi d’une ambiance orientale tout à fait rafraîchissante, dont les éléments légendaires, dignes des Mille et Une Nuits, comprennent leur lot de personnages singuliers, de divinités, de rites, de dimensions et de lieux secrets. Solide de références socioculturelles d’une civilisation millénaire, aujourd’hui victime d’une actualité tragique, l’album atteint son objectif premier de divertissement tout en tendant à l’universel. Tout comme son histoire, faite de couloirs secrets et de caves aux multiples pièces où l’on se perd, le dessin de David B., dominé par les à-plats de noir, est complexe, labyrinthique, chargé comme les ornements des temples et des palais musulmans, mais rappelle aussi, dans certaines planches, notre propre iconographie médiévale. Une oeuvre riche, dans les dédales de l’imaginaire et de l’Histoire!

L’Ombre de Dieu (Les Chercheurs de trésor, volume 1)
de David B.
Éd. Dargaud
2003, 48 p.