TOP LIVRES 2003
Livres

TOP LIVRES 2003

Marie-Hélène Poitras

1. Chant pour enfants morts
de Patrick Brisebois
Éd. de L’effet pourpre, 2003, 134 p.
Requiem fiévreux qui tient sa promesse de beauté, Chant pour enfants morts clôt la trilogie amorcée avec Que jeunesse trépasse et Trépanés. Ici encore, l’auteur nous entraîne chez les paumés magnifiques, chez ceux qui ont lu Anaïs Nin et Bukowski en écoutant Skinny Puppy, ceux-là qui ont grandi dans les banlieues entre une slush au dépanneur et une cigarette. C’est la Rive-Sud et ses drames enfermés dans le sous-sol, près de la chambre des ados qui sont en fait "des enfants morts dans leur chair d’adulte". De la plume de Patrick Brisebois jaillissent l’angoisse, un certain sens de la désolation, une maîtrise de la phrase, une rudesse qui fait juter un peu de bien-être. Et aussi quelques "papillons splashés", le silence rompu par le bruit des tondeuses.

2. L’histoire de Pi
de Yann Martel
XYZ éditeur, 2003, 335 p.
Deux ans après sa parution en anglais, le livre couronné par le prestigieux Man Booker Prize arrivait enfin, cet automne, sur les rayons francophones. Les attentes – à leur climax – ne furent pas déçues. On plonge dans ce roman aussi dense que l’océan, sur lequel voguent Pi et son tigre à bord d’une embarcation de fortune, pour savourer l’art romanesque d’un écrivain parvenu à maturité, pour voir une daurade expirer en oubliant un arc-en-ciel autour d’elle, pour s’aventurer jusqu’à une île fluorescente et mousseuse, un vrai paradis de la chlorophylle. Cette ouvre sensible, déployée quelque part entre les dieux et les bêtes, entre la sagesse et la candeur, se laisse dévorer jusqu’à la finale qui laisse sans voix.

Éric Paquin

1. Une saison de machettes
de Jean Hatzfeld
Éd. du Seuil, 2003, 320 p.
Du côté étranger, cette année, plusieurs excellents ouvrages nous ont rappelé les dictatures sanglantes du 20e siècle, du Chili de Pinochet à l’Ouganda d’Idi Amin Dada. Dans Une saison de machettes, Jean Hatzfeld retrace le parcours d’un groupe d’assassins hutus durant le génocide rwandais de 1994. Les récits, recueillis dans un pénitencier de Nyamata, sont ceux d’hommes ordinaires qui, pendant quatre mois de leur vie, ont cessé de cultiver leurs champs pour aller chaque jour "couper du tutsi", des voisins, des collègues, voire de la belle-famille, par imitation et par convenance. Un livre qui, à force de vouloir fournir des explications sur les causes d’une rivalité ethnique séculaire, ne fait que la rendre plus puérile, accentuant l’horreur de ce massacre organisé.

2. Le Libraire de Kaboul
de Åsne Seierstad
Éd. Jean-Claude Lattès, 2003, 348 p.
Dans le même esprit journalistique, Le Libraire de Kaboul s’intéresse à l’Afghanistan après la chute du régime taliban. La Suédoise Åsne Seierstad, après plusieurs semaines passées dans les montagnes en compagnie des leaders de l’Alliance du Nord, a décidé de partager la vie d’une famille de Kaboul à la fin de la guerre. Un récit qui nous fait pénétrer à l’intérieur d’un clan dominé par un patriarche amoureux des livres, mais d’un despotisme impitoyable, devant lequel tous plient: frères cadets, sours, épouses, fils et filles. Deux ouvres riches au carrefour du roman et du grand reportage.

Stéphane Despatie

L’un est un essai et l’autre, un recueil de poésie. Le premier décrit l’art de peindre le petit, d’écrire l’essentiel, l’autre hurle, en un long poème foisonnant, ses intuitions et ses doutes comme un appel à garder l’oil ouvert sur le sort de notre culture. Chacun à leur manière, ces livres ont su toucher à la fois mon cour de lecteur et mes préoccupations intellectuelles.

1. L’écriture comme un couteau
d’Annie Ernaux – Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet
Éd. Stock, 2003, 156 p.
Par courrier électronique, les deux écrivains se livrent à une correspondance passionnante sur l’écriture difficilement classable d’Annie Ernaux. Sous l’oil de Jeannet, un lecteur profondément investi, on entre dans l’atelier de la romancière, questionnant sa venue à l’écriture comme à la publication, observant sa manière de travailler et ses raisons de le faire. En somme, une belle réflexion sur le geste créatif et son implication.

2. Baroque du nord
de Claude Beausoleil
Éd. Les Herbes rouges, 2003, 109 p.
Baroque du nord se lit d’un seul trait, transportant le lecteur par un lyrisme enlevant, une rythmique entraînante, où s’entend un côté rauque, rugissant plus que plaintif et mordant plus que subissant. Cette espèce de chant met en scène un loup qui veille au lieu de se laisser bercer. C’est après coup, une fois digérée la lecture de cette poésie à contre-courant des préoccupations formelles du genre, que l’on sent la portée collective de cette voix importante de la poésie québécoise. Un recueil accessible à tous, qui nous convie à l’urgence de dire, d’agir.

Tristan Malavoy-Racine

1. Histoire de la femme cannibale
de Maryse Condé
Éd. Mercure de France, 2003, 317 p.
Après La Vie scélérate (1987) et Célanire cou-coupé (2000), "la grande dame de la littérature des Caraïbes" a fait très fort avec son Histoire de la femme cannibale. Maryse Condé raconte ici l’histoire de Rosélie, Guadeloupéenne qu’une quête identitaire intense va mener loin de la terre natale, de New York au Cap, en Afrique du Sud. Là-bas l’attend l’amour, mais aussi les regards lourds d’un mépris à peine voilé, dans ce pays où l’apartheid a laissé des traces profondes. Tout ça nous est conté par une écriture foisonnante, aussi audacieuse que maîtrisée, où un je autobiographique intervient çà et là dans la fiction. Dès les premières lignes, on se sait loin des clichés de la littérature dite "exotique". Délicieux.

2. Constat d’accident et autres textes
de Paul Auster
Éd. Actes Sud/Leméac, 2003, 112 p.
Avec cette étrange plaquette, "le plus français des écrivains américains" livre un écho bien personnel aux attentats qui ont balafré sa ville. À travers des préfaces, lettres, notes et récits, ce New-Yorkais jusqu’au bout des ongles mêle souvenirs de sa jeunesse dans la Big Apple à des réflexions sur le genre humain et ses folies sanguinaires. Un heureux mélange des genres, qui montre le drame sous un nouvel angle, à hauteur d’homme.