Le Jeu des coquilles de nautilus : Terre des Hommes
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Le Jeu des coquilles de nautilus : Terre des Hommes

Celle qu’il est convenu d’appeler "la grande dame de la science-fiction francophone", ÉLISABETH VONARBURG, nous invite, avec Le Jeu des coquilles de nautilus, à un troublant voyage intérieur.

Il y a cent mille ans, l’Homo sapiens coexistait avec l’homme de Neandertal, lequel n’a pas survécu à la préhistoire. De ce voisinage, on ne conserve aucun témoignage qui pourrait nous éclairer sur les rapports entre les deux genres humains et nous aider à mieux nous comprendre nous-mêmes. Car après tous les génocides perpétrés au 20e siècle, on peut sérieusement se demander ce qu’il adviendrait de l’homme si, en plus de compter des ethnies différentes, il devait un jour partager la Terre avec une autre espèce d’hominidés.

Depuis sa naissance, la science-fiction a tenté de répondre à ces questions hypothétiques mais pas improbables. Dans Tyranaël, Élisabeth Vonarburg imaginait des Terriens qui colonisaient une planète déjà dotée d’infrastructures permettant l’installation de bipèdes intelligents, mais abandonnée par ses anciens habitants. Les colons mettent des générations à résoudre ce mystère, pour finalement apprendre que les autochtones sont toujours là, mais dans une dimension qui leur a permis d’échapper à une cohabitation qu’ils prévoyaient catastrophique. En plus de cette énigme originelle, apparaît graduellement sur Tyranaël une mutation qui transforme certaines personnes en télépathes, nouvelle race tour à tour victime et persécutrice de l’ancienne. Avec cette double intrigue étalée sur cinq volumes et plusieurs siècles, Vonarburg élaborait de multiples scénarios quant à une éventuelle cohabitation.

Il en va de même dans son cycle de Baïblanca, dont un deuxième volume, Le Jeu des coquilles de nautilus, vient de paraître, rassemblant six nouvelles liées entre elles. Baïblanca, c’est la capitale de cette Terre presque entièrement recouverte par les eaux depuis les Grandes Marées, un cataclysme écologique suscité par la fonte des glaces polaires. À partir de cette donnée dramatique, la romancière conçoit un avenir où non seulement notre planète se métamorphosera (continents reconfigurés, disparition et apparition de certaines sociétés), mais également le corps humain, avec la naissance d’une humanité amphibie adaptée aux bouleversements écologiques. Une nouvelle espèce, donc, cohabitant avec l’ancienne, laquelle se cramponne à ses digues édifiées sur les ruines d’un monde disparu.

Voyage intérieur
Que l’on soit ou non amateur de science-fiction, la force créatrice de Vonarburg nous invite à souscrire à son monde lacustre. Minutieusement tissé, celui-ci ressemble au nôtre, et ses habitants réagissent de façon étrangement familière. Le lecteur s’y trouve comme cette Voyageuse qui, grâce au Pont, se déplace d’un univers à l’autre sur des planètes différentes, frappée non par la variété des humanités qu’elle rencontre, mais par "les structures récurrentes, les ressemblances, les répétitions". Car les voyages les plus enrichissants sont aussi ceux où on finit par se retrouver soi-même. "Tu ne seras rien de plus dans un autre univers que ce que tu y feras de toi", confie un moniteur du Centre (porte d’entrée des univers) à la jeune Mélané, une des nombreuses incarnations de la Voyageuse.

Non dépourvu de liens avec Tyranaël (toutes les ouvres de Vonarburg font partie d’un grand système de ramifications), Baïblanca s’impose donc au lecteur: son Institut, dernier dépositaire du savoir humain, sa Promenade du Bord de Mer, "pied de nez à l’océan qui monte", son étrange parc aux Colibris (que les lecteurs de La Maison au bord de la mer retrouveront avec un frisson de nostalgie), lieu peuplé de statues faites d’une matière organique, ancêtres des artéfacts, ces humains créés artificiellement avec lesquels l’humanité quasi stérile avait dû se reproduire. Avec sa belle poésie ludique (voir les noms de personnages et les toponymes), l’ambiguïté sexuelle de ses personnages, l’adaptation de mythes anciens à une société futuriste, l’ouvre de Vonarburg est un territoire à découvrir sans plus attendre.

Le Jeu des coquilles de nautilus
D’Élisabeth Vonarburg
Éd. Alire, 2003, 320 p.

Le Jeu des coquilles de nautilus
Le Jeu des coquilles de nautilus
Élisabeth Vonarburg