L'amour estun cargo sans pilote : La dérive des sentiments
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L’amour estun cargo sans pilote : La dérive des sentiments

L’auteur est, semble-t-il, ingénieur diplômé. Eh bien… ça ne paraît pas! Mais tant pis pour les ponts et les voitures en moins, c’est toujours autant d’embouteillages évités et de temps à lire en plus…

L’amour est un cargo sans pilote. C’est le titre que P.J. Poirier a donné à son roman. Bien sûr, il y s’agit d’amour. Mais pas celui que vous croyez, pas celui qu’on voit dans les films, même cultes, ni celui que votre maman vous a appris, ni même celui qu’on idéalise en réaction à l’expérience vécue.

À vrai dire, au sortir du roman, on opte pour une variante. L’amour est un iceberg qui cherche son cargo. C’est un vrai livre, un vrai roman peut-être pas, mais un essai déguisé en roman, oui certes, quant à ce qui dans le récit fait récif, je veux dire obstacle à ce que les hommes et les femmes vivent tranquilles, en amis, plutôt que de sombrer corps et biens dans ce naufrage extrême auquel nous donnons – Dieu sait pourquoi – le nom d’amour.

Première page: "Les gens disent qu’ils s’aiment. Ils le disent. Les gens en couple l’affirment, en parlent, et pourtant, si peu le gesticulent. Dans mon quotidien, je regarde comment les gens sont, se comportent en amour et là j’ai ce doute. Ils s’aiment?"

Et pourtant, Philippi Renaud, son ami Alexis, Magali, Julie, Juliette, Raphaël… ah oui, j’oublie celle-là: la Bernadette Lourde… tout ce petit monde, donc, vient tour à tour se jeter sur ce roc qui les éperonne et les renvoie tour à tour à l’océan de la vie. Même Moutier se doit de rester humble, faudrait pas que dans sa virilité (sic) il aille "croire avoir inventé quelque chose hein!". Clin d’oil admiratif à celui qui navigue en solitaire sur les mêmes eaux, celles d’un réalisme littéraire qui fait style sans plagiat. Parce que l’amour est un écueil qui s’invente pour chacun, une sorte de jeu dont chacun se doit d’établir les règles dès le sortir de l’adolescence, quand palpite encore le cour des jeunes.

"Je n’ai aucun respect pour la langue. J’utilise l’outil avec insouciance. Un peu comme pour l’argent, d’ailleurs. Je méprise autant l’un que l’autre. Ce ne sont que des outils. Certains perdent ce fait de vue… Je les vois lécher la gâchette, caresser la crosse. Je les vois se crosser dans le canon, les cons. Ensuite ils sucent le jus de leurs propres créations. Ils se trompent. […] La simplicité volontaire existe, et ce, dans tous les domaines. Cette simplicité, frôlant la pauvreté, est parfaitement jolie et saine […]."

Et malgré tout, ça fait stylé! Réaliste, je l’ai dit. Presque initiatique. Pour ceux qui ne savent pas comment on aime astheure, allez-y voir. Allez voir comment sortir, et avec quelles hésitations et difficultés, de l’onanisme à deux, si fréquent, pour ne pas dire généralisé, dans nos boîtes à la mode. Car il en est qui savent que l’amour est un discours qui ne cesse d’apprivoiser l’inapprivoisable, le cargo-récif fantôme.

L’amour est un cargo sans pilote
de P.J. Poirier
Éd. Stanké, 2003, 232 p.