Passer sa route : Halte routière
Prendre la route comme on ouvre une parenthèse, voilà ce que fait le personnage principal de Passer sa route, premier roman de Marc Rochette, l’auteur du recueil de nouvelles Cette allée inconnue (L’instant même, 1999). Encore une fois, le titre évoque une démarche vers l’étranger en nous-même, ou vers celui qui est devant nous.
Une journaliste dans la trentaine subit une sorte de crise de lucidité pendant une fête entre amis plutôt ratée. Cela surgit comme un ébranlement qui la pousse au retranchement. La célébration, qui se déroule sur un fond politique, montre l’exaltation des gens comme elle témoigne de l’égoïsme et de la légèreté de certains, prêts à tout oublier pour s’émoustiller. Elle, elle ne danse pas avec les autres. Elle ne semble plus appartenir ni vouloir participer à la collectivité. Elle se sent seule et surtout hors de tout. Elle a besoin de recueillement et d’ailleurs. Besoin d’un voyage pour aller à sa propre rencontre.
Cette prise de conscience l’attire sur la route, où elle prend un jeune homme en stop sans connaître sa propre destination, ses objectifs profonds, ni le temps que nécessitera sa quête, son évasion ou sa simple escapade. Est-ce que ce détour par la campagne québécoise, dans les méandres de son intimité, ne sera qu’une aventure?
Fuites du réel, regards sur le passé et faux-fuyants jalonnent cette route sinueuse d’où semble pourtant vouloir se dégager un cercle. L’infini qui s’y mange la queue, peut-être. Par un jeu efficace de la narration, où les temps jouent à la chaise musicale, le parcours affiche, d’une certaine manière, les mêmes caractéristiques de la nuit qui trouve toujours son matin. Rêves, cauchemars, doutes et aventures fantastiques hantées par le passé, le quotidien et l’espoir. Dans cet espace-temps, codes et langages ne sont plus les mêmes. Et notre personnage joue un rôle, avançant à tâtons avec son compagnon de voyage jusqu’au Jardin Secret, un bar miteux d’un trou perdu où les habitués semblent tout droit sortis de La Nuit de Ferron, bousculant par leur étrangeté et leur singularité les certitudes et l’erre d’aller déjà confortable du tandem. Les serveurs et serveuses de cette traversée sont autant de ponts vers la rêverie, vers le passé talonnant cette femme, qui se livre à peine plus au lecteur qu’à son acolyte.
Il est assez fascinant de voir comment l’auteur danse avec les apparentes digressions (les pièces du puzzle en fait) et avec les temps de l’action (ce passé qui évolue avec les projections). La narration au féminin est bien sentie, tout comme se remarque la connaissance aiguë d’un certain type d’homme. Le comportement de ces êtres flous et leurs dialogues d’enquête sont bien exploités, les difficultés de l’engagement aussi. Le choix des confessions, l’ajustement des caractères, le respect des limites comme les fluctuations de l’intimité confèrent à cet écrivain des qualités d’observation indéniables. En somme, un premier roman fin, habile et sans prétention.
Passer sa route
De Marc Rochette
Éd. L’instant même
2003, 114 p.