Le Charbonneur de murailles : Explosion tranquille
"Il est curieux que les grands écrivains aient eu soin de composer des pages médiocres pour figurer dans les florilèges", a écrit quelque part le provocant pince-sans-rire Emmanuel Lochac (1886-1956). Ukrainien d’origine ayant vécu la majeure partie de sa vie en France, ce poète plutôt conventionnel – mais penseur original – est pratiquement oublié. La valeureuse maison d’édition québécoise L’Oie de Cravan, qui perdure malgré les avanies des bailleurs de fonds, a eu la brillante idée de regrouper les aphorismes de Lochac qui, plus que ses autres écrits, méritent l’attention.
"Réservons un spacieux territoire de chasse aux espoirs sauvages." Cette citation montre bien les multiples tranchants de la verve de Lochac, qui constate (et conteste) l’inanité des efforts, comme il réclame à la fois le pardon qui nous éternise. Malgré sa lucidité, il cherche un sens aux déceptions. Comme si dans la faillite des mots cruels, il trouvait une autre résonance pour appuyer l’espoir. L’auteur connaît la langue et le poids des mots. S’il manipule bien la polysémie des vocables, il exploite aussi rationnellement l’ambiguïté des images. Comme dans cette phrase, "un vol de canards sauvages termine bien l’existence", où il arrive à dégager la poésie d’une situation sans en minimiser l’aspect inévitable ni trop le relever. Il évite ainsi de basculer dans un état d’abattement et de surexploiter la blessure. Ici, la tristesse n’est pas vague. Elle est cliniquement présente, donc dégagée d’une lourdeur excessive; on fait avec. Point de véritable mélancolie, la ferveur n’est pas tombée, elle alimente plutôt la subtilité et l’acuité qui donnent à cette apparente tranquillité son caractère explosif.
On doit la découverte de ces phrases brèves mais bien affûtées au poète Pierre Peuchmaurd, qui signe la préface de ce savoureux Charbonneur de murailles imprimé sur du beau papier ivoire (L’Oie de Cravan ne fait que des présentations soignées). Le livre, comme objet, s’avance de la même manière que les textes de Lochac: sobre et discret, il laisse toute la place à l’efficacité de la surprise et à l’infusion lente que méritent certaines trouvailles. Laissons-lui les mots de la fin: "Ce qui demeure indéracinable suffit pour conclure."
Le Charbonneur de murailles
d’Emmanuel Lochac
Éd. L’Oie de Cravan, 2003, 33 p.