Des tranches de soleil : All you need is love…
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Des tranches de soleil : All you need is love…

Des années 1970, JEAN-FRANÇOIS SOMAIN retient, dans son dernier roman (et 42e ouvrage), Des tranches de soleil, plus de Beatles que de Stones, une langueur des corps, une longueur du temps, une apathie plus ou moins généralisée, sur fond d’amitiés tissées dans un macramé serré. En fait, Des tranches de soleil, c’est un peu La vie, la vie des années love.

Michel, Alix, Henriette, Diane, Raymond… ils sont nombreux (et souvent attachants), les personnages qui évoluent dans ce roman ensoleillé et bien nommé, du tout début du printemps 1970 jusqu’à la crise d’Octobre (avec quelques références plus récentes: le narrateur situe certains de ses personnages, qui se souviennent, trente ans plus tard, en début de millénaire).

C’est à cette évolution, sur fond de révolution (plus ou moins tranquille), que nous convie Jean-François Somain. Et tous les clichés 70 y passent – bien entendu, l’époque n’est-elle devenue un formidable cliché?: les drogues, la sexualité, la politique, le désir d’encanaillement des bourgeois, l’athéisme des nouveaux intellectuels, la fascination du voyage, l’Europe, le Mexique, la libération, les libérations sur fond de libations… Le ton est juste, mais la redondance devient plus agaçante que simplement berçante ou lancinante, c’en est parfois mielleux jusqu’au léger écœurement, annoncé dès le premier paragraphe: "Programme pour des lendemains ensoleillés – Quand nous ne ferons que l’amour avec la terre et les étoiles, nous aimerons tout ce qui vit, tout ce qui est et qui sera. Dans un monde selon nos cœurs, nous aurons les yeux grands ouverts sur la douce beauté des choses. En faisant l’amour à la vie, en caressant chaque seconde, nous retrouverons la profonde éternité du temps qui passe." Bref…

Évidemment la fresque, répétons-le, est juste, nous pourrions en citer vingt passages: "Michel et Aix ont quitté Ottawa vers trois heures et demie afin de souper à Montréal avec Henri Poulain avant d’aller voir Hair, le spectacle tribal de rock, à la Comédie Canadienne. Les mains sur le volant, Alix se sent heureuse, sans raison particulière, simplement parce qu’elle est vivante. Philippe et Suzanne, qui revenaient d’Europe, manquaient d’argent. Raymond et Diane leur ont offert l’hospitalité, qui s’est étendue à leur lit (…) Les relations sexuelles avec plus d’un partenaires ne devraient pas poser d’inconvénients., d’autant plus que tous les quatre sont sensibles, intelligents, ouverts."

Et des idées drôlement intéressantes et lucides parsèment le propos, comme celle, évoquée par l’un des protagonistes, selon laquelle avoir beaucoup lu évite "d’avoir des convistions"…

Une féconde déliquescence
L’écriture est simple (mais d’une richesse certaine) et précise, comme se voulait l’époque, avec simplement ce qu’il faut de clarté et d’ombre… en fait, la déliquescence d’une partie de cette génération qui voulait tout réinventer, qui en avait la volonté, mais ni la force physique, ni la force morale pour ce faire (trop de drogues?, de discours creux?, de rejets systématiques?), se trouve au cœur même de l’écriture que Somain a choisie pour ce roman aux accents harmoniumesques: " L’université se trouve à dix minutes de marche. Alix se sent des fourmis dans l’estomac. Comment ça se passe, un love-in? S’agit-il vraiment d’une fête qui tout à coup bascule dans une orgie amicale? Comment fait-on les premiers pas? (…) Se contenterait-elle d’être spectatrice? Non, elle a trop envie de plonger, d’explorer, de découvrir des choses nouvelles. (…) Un garçon assis à côté de Michel lève la main, il veut parler. – Le problème, c’est qu’on est aliénés. Le mode de production, c’est pour les profiteurs. En renversant le complexe militaire et industriel, on aura des milliards pour l’éducation sociale. Plus on produit, plus on consomme, c’est un cercle vicieux. Si on veut s’en tirer, il faut une révolution culturelle."

Un testament bien foutu de 1970, en somme. Des exécuteurs?

Tranches de soleil

De Jean-François Somain

Éditions du Vermillon

2003, 339 p.