

La Main nue / Mort, taxe : Contre et rencontre
					
											Stéphane Despatie
																					
																				
				
			Celle qui écrit
Avec La Main nue, Jean Royer nous offre un récit en forme de carnet d’écrivain. Parfois très près de l’essai littéraire, du calepin de lecteur ou même du journal d’explorateur, de celui qui voyage en littérature, au gré des découvertes autour des mots des autres ou à travers son propre processus de création, le livre témoigne aussi des rencontres avec certains écrivains. Soudain plus proche du journal intime, de la confidence, La Main nue chuchote aussi un certain manque d’amour qui serait peut-être l’origine du métier de son auteur, qui fut aussi journaliste et éditeur. Responsable pendant de nombreuses années des pages culturelles du Devoir, Jean Royer a été quelque temps à la tête des Éditions de l’Hexagone, où il a publié plusieurs tomes d’entretiens avec des gens de lettres, d’ici et d’ailleurs. Mais dans ce récit, celui qui est aussi président de l’Académie des lettres du Québec et de la Rencontre québécoise internationale des écrivains confesse le fragile équilibre d’une enfance à l’écart des caresses parentales. Son père, se sentant coupable de sa naissance, interdisait à sa mère de trop le prendre afin d’éviter au jeune enfant – né avec une main en moins – d’être dépendant affectif. Cette situation inspire aujourd’hui ces lignes au poète: "Le sens de la perte nous instruit de l’intime. Le manque donne un relief aux contours de notre identité." En somme, un livre de partage qui nous invite à la rencontre des mots et à celle, plus secrète, d’un auteur d’expérience.
Celle qui mord
  "Marie Pop / Chrys Spaghetticarré / Bazoukas / De la Bazzo /  Zozotant / Poutt poutt / Au petit matin / Bizuté / De la chaîne  / Babaculturelle / De Radio-Can". Ces vers rendent assez bien  le ton général du recueil de Jean Leduc, Mort, taxe.  Derrière le livre, l’auteur mentionne fièrement qu’il n’est pas  membre de l’UNEQ. Si on comprend rapidement qu’il s’inscrit en  marge de toute institution, force est de constater que son  apport à la culture littéraire du Québec n’est pas à négliger.  En plus d’avoir enseigné la littérature à l’UQAM et à  l’Université McGill, ce docteur en lettres a fondé les défuntes  éditions Cul Q (ainsi que la revue du même nom) et animé le  journal hobo/Québec. On a donc affaire à un acteur important de  la contre-culture des années 70. Mort, taxe, bien sûr,  est teinté par l’ironie et par le caractère rebelle émanant de  cette époque et de ce mouvement. Mais cette laconique poésie  qui s’étire à peine sur 51 pages provoque plus d’un sourire et  attise l’admiration pour ses formules lapidaires et,  avouons-le, encore à propos. Bien que n’amenant rien de bien  nouveau, cette poésie ludique arrive parfois comme une bouffée  d’air frais; c’est dire à quel point notre littérature est à  certains niveaux sclérosée. Lorsque l’auteur s’amuse,  s’amuse-t-on avec lui? Quand le livre est bien fait, comme  c’est le cas ici, on s’abandonne effectivement à l’humour, si  particulier soit-il. Jean Leduc arrime amour et tondeuse,  pisser et écrire, mais nous entraîne efficacement dans sa  folie.
La Main nue
de Jean Royer
Éd. Québec Amérique
2003, 120 p.
Mort, taxe
de Jean Leduc
Écrits des Forges
2003, 51 p.