Mammifères : La deuxième gorgée de bière
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Mammifères : La deuxième gorgée de bière

On le présente comme un ours alcoolique et dépressif, un styliste s’abreuvant à la même mamelle que Houellebecq et Bukowski. Dans un grand élan d’humilité, Frédéric Beigbeder nous donne ce conseil: "Ne parlez pas de mon livre, parlez plutôt de celui de Pierre Mérot!" Il fit jaser pas mal lors de la dernière rentrée littéraire française. On sait peu de choses sur Pierre Mérot, sinon qu’il a publié trois autres titres, qu’il est né à Paris il y a une quarantaine d’années et que Mammifères, son plus récent roman, "raconte la vie d’un type né à Paris il y a une quarantaine d’années".

Un jour, apparemment, des mammifères organisèrent le réel ainsi: nous nous éveillerons dès 6 h du matin à la suite de l’agression d’une boîte de Pandore qui viendra avorter nos rêves, nous travaillerons 40 heures par semaine sous l’œil décapant du néon, nous nous reproduirons, créerons ce noyau explosif tellement épanouissant qu’est la famille, et si jamais la panique s’en mêle, nous avalerons ces petites menthes poudreuses destinées aux adultes que sont les antidépresseurs et les somnifères.

D’autres mammifères – est-ce parce qu’ils ont le sang plus chaud? – pourront difficilement s’y faire et passeront pour imposteurs aux yeux des premiers et aux leurs propres. On peut dire que l’Oncle, protagoniste et narrateur, fait partie de ces êtres en décalage sur le monde et que ce monde a atteints, fatalement, en plein milieu du thorax, peut-être en raison de leur hypersensibilité.

L’Oncle est un animal magnifique, un dépressif souvent très joyeux – le pastis aidant -, un imposteur comique qui s’est offert le luxe de la désinvolture et qui vient nous rappeler qu’avant le delirium tremens, il y a la lucidité. Alors, pour survivre à tout ça et ne pas oublier qu’il est vivant, il boit, aime, baise, essaie de trouver un boulot, se fait virer ou se vire lui-même, retourne chez ses parents à 35 ans, reprend pied, s’alcoolise à nouveau, rentre dormir "dans l’aube pâle et toxique" et nous livre ses humeurs en nous prenant à témoin: c’est au "vous" qu’il déballe ses aventures, pronom glissant qui fait parfois grincer des dents. Sauf qu’il faut le dire, l’Oncle est un personnage tout à fait humble et charismatique qui veut jouir de l’existence sans trop s’encrasser. Alors on le laisse nous parler sur ce ton, d’autant plus qu’il nous fait rire.

Mammifères est composé de trois volets, le moins réussi étant le second, qui porte principalement sur le travail. Là où l’Oncle est à son meilleur, c’est lorsqu’il nous parle de la faune des tavernes de quartier, de ses virées très arrosées de Suze, de kir ou de Pernod, mais surtout, surtout, lorsqu’il cause cul: "Le sexe est peut-être la seule forme, pitoyable ou non, que nous ayons trouvée pour dire quelque chose de l’amour", l’amour étant "la rencontre de deux violences. C’est une lutte dans la boue et l’or" qui dure "le temps de détruire l’autre". Voyez-vous à qui vous avez affaire?

Alors si la vodka coule parfois dans votre gorge "comme un baiser d’ours incestueux" et si vous aimez les écrivains qui ont un point de vue, Mammifères vous fera l’effet d’un excellent scotch salé. Mais l’Oncle vous met en garde: "l’alcool est une alimentation de larmes".

Mammifères
de Pierre Mérot
Éditions Flammarion
2003, 249 p.