Un petit pas pour l’homme : 5 phases et 33 tours
L’auteur semble montréaliste. Pire, plateau-mont-royaliste, et jeune à part ça. Et branché. Mais le parti pris, résolument baveux et un tantinet exclusif, n’empêche pas Stéphane Dompierre d’avoir su dompter – mais pas trop – une plume sauvage qui décrit ce microcosme urbain avec le regard de l’initié et la distance du spectateur amusé. Après tout, la vie d’un jeune "mâle déglingué" n’est pas moins pertinente à explorer que celle d’un coureur des bois. Tout sujet est bon, suffit de savoir travailler.
Le personnage principal du roman Un petit pas pour l’homme râlerait sûrement contre ce genre de roman, qu’il lirait par contre avec un vif intérêt. Daniel, que l’on surnomme Deejay à cause de ses initiales, est un disquaire en pleine crise de la trentaine. S’accrochant à son immaturité, il porte un regard cynique mais lucide sur tout ce qui l’entoure. Il bougonne sans arrêt mais possède les mots justes pour cerner le ridicule de chaque situation, y compris la sienne. Nouvellement célibataire en rut, il s’entoure d’amazones qu’il réussit à amuser plus qu’à séduire et il observe le cirque. Celui de la faune d’écornifleurs et de parasites qui défile devant lui: clients typiques amateurs de vieux 33 tours, pique-assiettes courant les lancements de disques où se multiplient les chanteuses pas très belles converties en sex-symbols, jeunes banlieusards attendant des bébés et autres adolescents attardés errant du restaurant qu’il faut au café qu’il faut en passant par le bar qu’il faut (très peu de bars, d’ailleurs, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre). Mais au-delà du décor, il y a cette quête du bonheur et la difficulté d’assumer la place qu’il occupe, ou plutôt celle qu’il n’occupe pas. Daniel est intelligent, cultivé et, au fond, terriblement seul. Sa lucidité lui interdit de se projeter dans l’avenir qu’il craint comme un miroir trop propre.
Comme plusieurs membres de sa génération, Daniel, malgré ses compétences, occupe un petit boulot pour payer (trop cher) le loyer d’un vieil et petit appartement. Il a beau avoir un pied dans sa vie d’adulte, il hésite pourtant à mettre l’autre, qui confirmerait le peu de chemin parcouru et qui fermerait, un peu plus solidement, la porte aux rêves.
Au-delà de l’humour percutant de Dompierre, flotte un nuage de déception. Le narrateur, sous des airs de prétention, n’est pas très fier de lui. Cette distance que l’auteur et le narrateur entretiennent avec leur sujet confère au roman une dimension qui dépeint plutôt qu’elle ne revendique. Aucune plainte; qu’un constat. Le destin est donc entre les mains des personnages. Et c’est sans juger et en riant sainement qu’on traverse cet habile roman et ses cinq phases du célibat. Ces dernières sont d’ailleurs savamment expliquées dès le début et donnent le ton général, tout comme les conseils de survie qui parsèment le livre.
On a affaire à un excellent conteur qui connaît bien ses personnages ainsi que l’art de la digression.
Un petit pas pour l’homme
de Stéphane Dompierre
Éd. Québec Amérique
2004, 227 p.