Newstart 2.0 : Tableaux de chasse
Que reste-t-il de ce roman une fois lu, puisque tout est déconstruction, semblant et parodie? Reste Rome, la Ville éternelle que l’auteur Timothy Taylor aime probablement par "étouristerie". Reste aussi un "vive le raifort, vive le raifort (horse radish) libre" qui parodie ce qu’un Anglo de la Saskatchewan ne peut supporter de la prophétie gaullienne.
L’amorce n’a pas pour but de vous décourager de lire ce livre. Tout au contraire, de piquer votre curiosité: que peut-il bien se passer tout au long de 160 pages qui puisse tenir un lecteur en haleine pour se réduire au rien ou quasi-rien à partir duquel toute une intrigue pourtant s’est remarquablement construite?
Une grande question soutient l’énigme: "Je m’entendis dire à haute voix: ce qui m’intéresse, c’est le moment du naufrage, et ce qui le suit. Le point de rupture par delà lequel un esprit créateur ne peut plus voir les choses comme avant…" Les mots sont de Donald Shane, jeune journaliste américain (artiste manqué) qui s’est rendu indispensable au succès de librairie d’un pseudo-magazine d’art, genre design politiquement ambigu. Plus précisément un "générateur de contenu multimédia qui distribue informations et analyses sur les systèmes météorologiques de l’esthétique mondiale". Rien de moins. Et dans ce monde-là, surgit un jour l’affaire Piero Talloni. À Rome.
Un peintre presque octogénaire, quasi inconnu et dont l’œuvre n’avait jamais été cotée, entreprend de la détruire, par le feu. Deux cents rouleaux de toile, de couleurs et scènes envolées dans le ciel italien… Le reportage du naufrage d’une vie ratée s’impose, et notre esthéticien s’envole aussitôt. Mais Rome est retorse, et Talloni, évanescent. Comme son œuvre qui pourtant reparaît ici et là. Parce qu’un peintre ne peut pas rester maître de sa création, les quelques tableaux vendus à des particuliers, disséminés dans la ville, ressurgissent comme les fantômes énigmatiques d’une peinture mineure qui n’acquiert de valeur que par sa rareté même. Une fleuriste, un antiquaire ressortent des boules à mites des Talloni dont ils ignoraient tout jusque-là et qui prennent une valeur ironiquement démente sur le marché. Satire du commerce de l’art? Plus que cela.
Donald enquête. Il suit le signifiant à la trace, fin limier, il flaire et piste tel un aruspice les manifestations météoriques des Talloni qui apparaissent sur le marché romain. Puis la duperie éclate. Jamais un prestidigitateur ne peut sortir de son chapeau un lapin s’il ne l’y a mis déjà! C’est très précisément à lui, Donald, que s’adresse cette mise en scène; c’est aussi lui qui doit la déchiffrer et c’est lui qui doit retrouver, à travers les fils qui tissent cette histoire incroyable et pathétique du vieux peintre, la signification toute personnelle de ce que la vie et son boulot exigent de lui en cet instant de son existence.
Une vieille rivalité amicale, digne des meilleurs Edgar Poe, justifie cette intrigante mise en scène que Donald évente par un repérage quadrillé et systématique. Il retrouve un vieux comparse de collège, Dennis Kopak, informaticien et créateur lui aussi, d’un logiciel capable de réinventer le mythe immémorial du renouvellement de la vie humaine. On n’en dira pas plus pour ne pas déflorer le sujet, pas plus que son suspense. Sinon du style, de l’écriture: munificente, baroque, enluminée comme peuvent l’être la vieille ville et son Trastevere.
Newstart 2.0
de Timothy Taylor
Éd. Les Allusifs
2003, 168 p.