Bernard Werber : L’homme et la bête
Le célébrissime auteur des Fourmis publiait récemment Nos amis les humains, un livre un peu à part dans son opulente production. Christine Fortier en parle avec lui.
L’auteur né à Toulouse en 1961 écrit depuis toujours ou presque. En effet, Bernard Werber avait sept ans lorsqu’il a composé sa première nouvelle élaborée, intitulée Les Aventures d’une puce, qui raconte les aventures d’une puce escaladant le corps d’un humain. Depuis, la fascination de l’écrivain pour son art n’a jamais cessé de croître, et encore aujourd’hui, il tente de diversifier ses manières de raconter des histoires. "C’est pour cette raison que j’ai écrit Nos amis les humains sous forme de pièce de théâtre. Si cela peut contribuer à approfondir ma technique de raconteur d’histoires, je n’hésiterai jamais à explorer d’autres styles d’écriture. C’est ce qui me permet de connaître mon métier à fond", explique-t-il.
Ainsi, en rédigeant Nos amis les humains, sa première intention était d’explorer un nouveau genre d’écriture, mais aussi de voir le court roman prendre vie sur scène. "Pour que l’histoire soit jouée à moindre coût, j’ai mis en scène un huis clos avec deux personnages très différents l’un de l’autre pour que l’interaction soit forte", raconte l’auteur qui a travaillé sur ce livre pendant cinq ans, question de s’assurer qu’il maîtrisait parfaitement le style avant de l’offrir au public. Il poursuit, pressentant avec justesse la prochaine question: "Au moment où je travaillais sur le manuscrit, la télé-réalité n’existait pas encore." Au fil des années et des histoires, il est arrivé à plusieurs reprises que les écrits de Bernard Werber trouvent un écho dans la réalité. Par exemple, les scientifiques ont découvert au cours des dernières années le lien génétique existant entre le porc et l’humain, comme dans Le Père de nos pères, sorti en 1998.
Les signes du futur
Pour l’écrivain, ce phénomène s’explique simplement: "Tout d’abord, j’ai envie de sentir le futur. Et du moment qu’on a envie de sentir quelque chose, l’univers entier participe à résoudre le problème. J’ai encore d’autres projets de livres dans lesquels je fais une extrapolation de ce qui pourrait arriver à l’humanité. Alors pour réaliser cette envie, je suis attentif aux actualités. Tous les matins, je me gave de nouvelles, de sorte que j’arrive à sentir les choses quelque temps avant qu’elles se produisent. Pour écrire qu’un avion allait s’écraser dans un immeuble dans L’Empire des anges (publié en 2000), j’étais d’abord parvenu à la conclusion que plus il y a d’avions qui circulent dans les airs, plus il y a de risques qu’il y ait des pépins. Dans ce cas-ci, c’est une simple question de probabilités. À côté de ça, je peux dire sans être grand clerc qu’on risque d’avoir de plus en plus de problèmes de terrorisme, tout simplement parce qu’il y a de plus en plus de gens dans des écoles en train d’apprendre à tuer un maximum de personnes et qu’il n’y a rien pour les en empêcher. Les gens ne sont pas habitués à être attentifs. Du coup, quand quelqu’un l’est, il a l’air de prévoir l’avenir", croit Bernard Werber, qui espère qu’un jour ses lecteurs se livreront au même petit jeu que lui. "Dans L’Arbre des possibles, c’est justement un sport que de prévoir l’avenir", souligne-t-il.
En ce qui concerne la prolifération des émissions de télé-réalité, Bernard Werber estime qu’elle révèle un problème de manque d’idées de la part des gens. "Ensuite, il y a un trouble de civilisation, qui fait qu’on a envie de s’observer comme des animaux. C’est exactement la démarche de Nos amis les humains, qui montre qu’on est en train de se poser des questions sur qui nous sommes", explique l’auteur, qui voit aussi dans le phénomène de la télé-réalité le signe que l’humanité arrive à un stade de questionnement crucial, et que si elle échoue dans son examen de conscience, le pire pourrait arriver.
Le Royaume des dieux, la suite de L’Empire des anges, devrait paraître en octobre 2004. À noter que l’auteur sera à Montréal lors du prochain Salon du livre.
Les fans de Bernard Werber se retrouveront en terrain familier à la lecture de Nos amis les humains, un court roman inspiré de la nouvelle Apprenons à les aimer, publiée dans L’Arbre des possibles, un recueil de nouvelles paru en 2002 et réédité en novembre 2003 dans un nouveau format, accompagné d’illustrations de Moebius. Comme son polyvalent auteur, qui écrit autant des polars scientifiques que des nouvelles fantastiques, Nos amis les humains possède plusieurs identités. C’est la trame d’une pièce de théâtre présentement mise en scène à Paris par John Pepper, mais aussi un récit de science-fiction et un face-à-face entre deux personnages obligés de cohabiter malgré l’animosité immédiate qu’ils ressentent l’un pour l’autre. Nos amis les humains n’est pas à proprement parler une critique acerbe de la télé-réalité, mais comme dirait l’auteur de la trilogie sur les fourmis, ça fait partie de l’arbre des possibles! En fait, Nos amis les humains se veut une observation de la nature humaine lorsqu’elle est confrontée à une situation nouvelle et inattendue, ce qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère schizophrénique du film Le Cube, de Vincenzo Natali. Raoul et Samantha pensent tout d’abord qu’ils sont les nouvelles stars d’une émission de télé-réalité, mais ce n’est pas le cas. Ils sont les derniers représentants de la race humaine disparue avec l’explosion de la Terre; et d’après la grosseur de l’œil qui les observe par une trappe, leur nouveau maître n’est pas humain…
Nos amis les humains
de Bernard Werber
Éd. Albin Michel
2003, 124 p.
L’Arbre des possibles
de Bernard Werber, illustré par Moebius
Éd. Albin Michel
2003, 269 p.