Le meilleur ami de l’homme et autres nouvelles : Nouvelles d’outre-tombe
Si vous n’avez jamais lu un livre de Patricia Highsmith, vous connaissez au moins la chanson L’Escargot, de feu Jean Leloup, inspirée d’une de ses nouvelles, qui raconte l’histoire "d’un original pas normal qui décide d’étudier le monde animal" en s’intéressant aux escargots jusqu’à ce que ceux-ci, après s’être exponentiellement reproduits, aient raison de lui. Sinon, vous avez peut-être vu l’adaptation de son roman L’Inconnu du Nord-Express, porté à l’écran par Alfred Hitchcock ou encore, plus récemment, L’Énigmatique Monsieur Ripley d’Anthony Minghella. Puisqu’elle est morte il y a 10 ans, on ne s’attendait plus à retrouver Highsmith au rayon des nouveautés. On s’était plutôt mis à la relire.
Dans L’Art du suspense, petite plaquette parue à la fin des années 80 qui fait état de son corps à corps avec l’écriture, Patricia Highsmith se penche sur l’étiquette "suspense" et se dit étonnée qu’en Amérique – rappelons qu’elle est originaire du Texas -, on l’ait étiquetée "auteure de romans à suspense": "En [Europe], on ne me considère pas comme [telle], mais simplement comme une romancière." De son propre aveu, la moitié seulement de ses nouvelles appartiennent au genre du suspense. Dans Le meilleur ami de l’homme et autres nouvelles, le recueil d’inédits qui vient de paraître, c’est surtout à l’autre moitié que le lecteur a droit. Les 12 premières sont des œuvres de jeunesse et les autres, des nouvelles de la maturité. Et que les fans qui douteraient – pourquoi le bouquin n’a pas été publié de son vivant, du réchauffé? – se rassurent, il s’agit d’un excellent Highsmith, qui nous la fait découvrir sous un jour nouveau.
Déjà, à 17 ans, l’écrivaine installe ses univers et fait l’ébauche de personnages marquants auxquels elle donnera vie par la suite, Tom Ripley par exemple, ce maître du mensonge et du raffinement, dont on reconnaît certains traits dans Le Mauvais Garçon et Une si jolie petite ville. Ses sujets de prédilection apparaissent: les faux tableaux, la volonté de s’élever au-dessus de sa condition, la solitude, entre autres. Elle se rend au plus près de personnages solitaires, vaguement suicidaires, pour les détrousser dans leur intériorité, mettre à nu leur grande fragilité, bien souvent au prix de la rectitude morale, jusqu’à un réalisme mordant qui prend le lecteur à partie.
Patricia Highsmith est une écrivaine des tensions, elle fabrique des climats et maîtrise l’art du détail qui tue. Arrive inévitablement ce moment ténu, cette seconde où tout glisse et où l’envers de l’humain apparaît dans sa monstruosité et sa vulnérabilité. Dans Une femme sans importance, une Allemande de 45 ans sans signe distinctif, sans grande beauté, les genoux un peu rentrés, le chignon sévère, se rend en Autriche dans un hôtel. Sans savoir pourquoi, les gens qui logent à la même enseigne deviennent subjugués par elle, ne réussissent plus à détourner le regard. Un musicien français la demande en mariage, de même qu’un jeune étudiant, et un couple veut dîner avec elle: "Si tous ces gens me désirent, c’est uniquement parce que moi, je n’ai plus besoin d’eux." La "femme sans importance" s’est rendue à Alpenbach pour se jeter du haut d’une falaise et en finir avec une existence pas si mal en définitive, mais qui, à ses yeux, n’en vaut pas tellement la peine. Tout simplement.
Le meilleur ami de l’homme et autres nouvelles
de Patricia Highsmith
Éd. Calmann-Lévy
2004, 341 p.