Rencontre Kim Doré : Mots de source
La Quinzaine de la poésie, qui s’ouvre ces jours-ci, n’est pas l’apanage de la vieille garde du poème. L’événement fait aussi place à une nouvelle génération, qui a ses mots à dire. Parmi elle: KIM DORÉ, présentée ici par un autre poète et l’un de nos collaborateurs, Stéphane Despatie.
Elle a 25 ans, un bébé de 7 mois et une maîtrise portant sur les rapports entre la science et la littérature dans le roman contemporain. Kim Doré a publié des essais et des poèmes dans plusieurs revues et ouvrages collectifs, et un livre, La Dérive des Méduses (Les Intouchables, 1999), qui lui a valu le prix Relève 2000 du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. L’an dernier, elle était lauréate du 2e prix du concours littéraire de Radio-Canada dans la catégorie poésie de langue française. Cette année, avec l’inédit Comment voir le poisson rouge dans l’eau rouge du bocal, elle remporte le 1er prix de ce même concours – ce texte fera d’ailleurs partie d’un livre à paraître d’ici la fin de l’année. Rencontre avec une jeune poète fort occupée.
"Si on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds que je suis maman à temps plein." Pour le moment, aucune autre réponse possible dans l’esprit de l’écrivaine et de l’intellectuelle qui a passé ses dernières années sur les bancs de l’université. "Je n’ai jamais répondu que j’étais poète car je ne suis pas encore à l’aise avec l’idée. C’est que je ne suis pas poète tous les jours et tout le temps. Je ne suis pas poète quand je change mon bébé de couche, je ne suis pas poète quand je rédige un mémoire de maîtrise. La poésie m’accompagne, elle est toujours là. Mais je ne la pratique pas au quotidien même si parfois, le travail d’un recueil ou d’un poème peut m’amener à le faire par périodes." Si l’auteure ne peut s’abandonner à son art à 100 % et qu’elle est bien consciente de l’importance de la vie et des autres choses qui l’entourent, inconsciemment ou non, elle observe toujours, ramassant sans arrêt des réflexions ou des émotions à jeter sur l’établi, plus tard, quand elle entrera dans l’atelier du poète. "Lorsque j’ai un projet précis en tête, ça n’arrête plus, c’est toujours présent à l’esprit. Il suffit d’un titre, d’une intuition, d’un vers pour que je me mette à traîner ça avec moi pendant des jours."
Science naturelle
Dans son mémoire, Kim Doré faisait ressortir le discours social sur la science qu’on peut retrouver dans les œuvres littéraires. Le livre en préparation, qui inclura le texte gagnant, s’intitulera vraisemblablement Le Rayonnement des corps noirs, d’après une théorie du scientifique Max Planck. "Tout le recueil est bercé par les réflexions autour de l’avenir du genre à travers le filtre de la science. Les notions d’intuition et de vérité sont très présentes." Quant au titre Comment voir le poisson rouge dans l’eau rouge du bocal, il s’agit d’un vers de Roland Giguère, l’un des plus grands poètes québécois, décédé l’été dernier. "C’est un vers sous forme de question, et ce texte, comme le recueil en chantier, s’élabore autour de sous-questions. Je pose une hypothèse et je tente d’y répondre. La suite a été écrite en peu de temps, dans une période où je ne voulais plus lire autre chose que des livres traitant du développement de l’enfant car mon enfant allait naître. Et soudain, on apprend la mort de Giguère, alors que mon bébé avait quatre jours. Alors j’ai débordé de mes lectures du moment pour réinvestir L’Âge de la parole – l’œuvre de Giguère a été très importante pour moi pendant l’adolescence. Giguère a été une porte d’entrée, une des quatre ou cinq figures qui ont marqué ma découverte de la poésie québécoise. Donc, en retrouvant tout ça, l’envie folle d’écrire m’a reprise. J’ai eu plein d’images et, très humblement, j’avais envie d’un dialogue avec Giguère."
Poète sous influence
En plus de Giguère, la poète a été très influencée par René Daumal et son Poésie noire et poésie blanche. Elle a beaucoup lu Rimbaud, Apollinaire et Lautréamont (un obsédé des mathématiques!). Chez les poètes québécois contemporains, elle aime bien la poésie de Jean-François Poupart (son conjoint) et celle de Tania Langlais. "Et La Théorie des catastrophes de Jean-Marc Desgents est probablement le plus beau recueil que j’ai lu dans les cinq dernières années. C’est du Desgents à son meilleur. Il arrive, comme peu de poètes savent le faire, à tirer la beauté de la souffrance. Il y a une harmonie totale dans son œuvre entre la douleur et la beauté." Mais Kim Doré aime aller chercher ailleurs que dans les livres de poésie ses moteurs de création: "Je lis des ouvrages de vulgarisation de la science, de géologie, des romans, des livres sur les plantes, les étoiles. Ma poésie se nourrit de tout ça!"
Chose certaine, le poème n’est pas un espace clos pour Kim Doré. Maintes réalités s’y côtoient, à commencer par les générations. "La poésie a toujours été un langage de libération, de révolte, de nouveauté. Mais on se rend compte que la modernité du poème ne passe pas nécessairement par le rejet de la génération précédente; on voit bien que l’on revient à certaines esthétiques. Alors comment être moderne sans faire table rase, comment intégrer ce qui a construit la littérature tout en étant soi? Voilà la question."