Alain Beaulieu : Écrivain public
Livres

Alain Beaulieu : Écrivain public

Depuis la parution de Fou-Bar, en 1997, ALAIN BEAULIEU nous a donné quelques savoureux romans conjuguant portrait de génération, intrigue philosophico-policière et carte postale de ce que la Vieille Capitale a de moins recommandable. Il nous parle de son petit dernier, Le Joueur de quilles.

Vous êtes écrivain et un homme d’affaires douteux, pour ne pas dire un bandit, vous offre 50 000 $ pour écrire son autobiographie à sa place. Que faites-vous? Pour Alain Beaulieu, auteur du Joueur de quilles, qui met en scène un écrivain de la Capitale aux prises avec ce dilemme, la réponse est prompte: "Jamais!"

L’ancien postier, résident de Québec et maintenant chargé de cours à l’Université Laval, aimerait pourtant avoir plus de temps à consacrer à l’écriture, mais pas à n’importe quel prix: "Depuis que je publie, je reçois, deux ou trois fois par année, des courriels de gens qui prétendent avoir vécu quelque chose d’extraordinaire, et qui affirment, aussi triste que cela puisse paraître, qu’il faut absolument que j’écrive leur vie. J’ai toujours refusé ce genre d’embêtant contrat car je n’ai pas un an de ma vie à consacrer à la vie d’un autre!" Or, il admet que le débat qui a cours dans le livre pourrait avoir lieu dans sa maison. "Ça pourrait ressembler à ça, dit-il; aussitôt qu’il y a des sous en jeu, on se demande à quel point et pour combien on peut remettre nos principes en cause. Mes deux personnages représentent probablement les deux facettes de ma conception de la chose."

Si le roman touche à certaines préoccupations littéraires et au mythe de l’écrivain, l’action se déroule surtout dans le monde interlope des quartiers durs de Québec. On s’accroche rapidement à l’intrigue policière, mais il y a aussi, en filigrane, une trame politique solide doublée d’une réflexion sur l’engagement et la responsabilité. "Je suis fasciné par ce débat: à quel point peut-on, dans une société, faire des héros de nos bandits? Mon personnage d’écrivain se laisse un peu entraîner par cette glorification du bandit. On a une fascination pour les criminels même si on ne les voudrait pas comme voisins. Ensuite, ce qui m’intéresse, c’est le grand débat qui englobe un peu tous les autres: le rapport entre l’individu et la société. Quelle responsabilité a-t-on quand on est né à une époque donnée, dans une société donnée, avec des valeurs et surtout avec des conditions sociales données? Qu’est-ce qui relève de la responsabilité individuelle et de la responsabilité collective lorsque quelqu’un devient bandit? Jusqu’où l’État est-il responsable de ses citoyens?" Alain Beaulieu n’a pas arrêté sa réflexion, comme il n’a pas de réponse toute faite quant au rôle de l’État dans le déterminisme des individus, mais son roman pose de sérieuses questions quant aux choix individuels et collectifs.

Sur un ton plus humoristique, une quarantaine d’auteurs interviennent au courant du roman. Ainsi, Kundera et Sollers croisent Patrice Desbiens et Denis Vanier. Beaulieu joue avec l’image que ces derniers projettent, mais ils les a d’abord choisis pour leurs personnalités fortes et l’intérêt de leurs œuvres. Dans Le Joueur de quilles, les figures prestigieuses (toutes époques confondues) des littératures étrangère et québécoise se retrouvent à la même table, comme si un équilibre était rétabli. "On n’a qu’à regarder la place qu’occupent dans nos médias les écrivains français de passage pour constater notre à-plat-ventrisme aigu. Pas qu’ils ne méritent pas cette place, mais les écrivains d’ici aussi la méritent! On a un sérieux problème d’identité doublé d’un complexe avec la langue!" Le ton est donné.

Entraînant le lecteur sur plusieurs pistes bien distinctes sans jamais le perdre, le roman d’Alain Beaulieu allie bien la réflexion et le divertissement.

Le Joueur de quilles
d’Alain Beaulieu
Éd. Québec Amérique
2004, 258 p.