Gay New York : Terre des hommes
Une importante communauté gay, organisée et visible, se serait développée dans le New York du début du 20e siècle. Portrait de ces années… folles.
Point de salut pour les gays avant les années 70? C’est ce que l’on est souvent tenté de conclure quand on connaît la répression policière dont fut victime cette communauté durant les décennies qui ont précédé les émeutes de Stonewall en 1969. Dans une Amérique qui criminalisait l’homosexualité, la législation visait en effet à empêcher tout regroupement de gays dans les établissements publics mais aussi toute relation homosexuelle en privé. Pourtant, le 20e siècle avait bien commencé si l’on en croit l’étude de George Chauncey, Gay New York (1890-1940), dont la traduction française vient de paraître chez Fayard.
Historien social, Chauncey retrace dans son livre la topographie homosexuelle de la métropole américaine, révélant l’existence d’un monde gay vaste, bien organisé et visible, qui culmina durant la période de la prohibition mais finit par être frappé d’une nouvelle forme d’intolérance au début de la Seconde Guerre mondiale. De 1890 à la fin des années 30, la vie gay était intégrée à la vie quotidienne de New York (qui comptait la plus grande proportion de célibataires au pays) avec ses lieux de prédilection, ses événements, ses codes linguistiques, vestimentaires et comportementaux. C’était aussi l’époque des premières représentations d’homosexuels dans la littérature et au cinéma, lesquelles disparaîtront après la Seconde Guerre quand les studios hollywoodiens adopteront des règles interdisant toute référence aux différentes "perversions" sexuelles dans les films.
Parmi la multitude d’ouvrages paraissant chaque année dans la lignée des gender et des gay studies, le livre de Chauncey a le mérite de remettre en question cette préconception "progressiste" selon laquelle l’histoire des gays connaît une amélioration régulière. La thèse de l’auteur voulant que "la vie gay fut moins tolérée, moins visible aux regards extérieurs, et plus rigidement contenue au cours du second tiers du 20e siècle que du premier" est effectivement troublante. On s’étonnera aussi de la plus grande liberté dont ce mode de vie bénéficiait dans les communautés ouvrière et noire de Harlem, tandis que la classe moyenne blanche, obsédée par son idéal de respectabilité, incitait davantage ses membres homosexuels à mener une double vie. Les sources fort diversifiées utilisées par l’historien (journaux intimes, correspondance, presse, archives médicales et policières) en témoignent chacune à leur façon.
Le choix de New York comme cadre de l’étude s’explique par l’émergence d’un monde gay masculin rendu possible par le développement des nouvelles formes de la culture urbaine au début du 20e siècle. Chauncey inscrit son sujet dans le contexte plus large d’une migration vers la ville (des Américains ruraux et des immigrants d’Europe) et de l’importance pour chaque culture de se constituer un réseau pour aider les nouveaux arrivants à trouver du travail, un logement, etc. Comme les autres catégories d’immigrants, les gays qui s’évadaient des petites villes du pays profitaient de leur propre communauté d’accueil qui facilitait leur intégration à la ville. Quelles que soient les causes de la répression qui succédera à cette époque, on retiendra qu’à l’esprit d’entraide doit également correspondre une action politique, indispensable à un changement plus en profondeur.
Gay New York
de George Chauncey
Éd. Fayard
2003, 554 p.