Sous la peau des arbres : Ombre au tableau
Si une image vaut mille mots, eh bien il faut, à l’inverse, mille mots pour décrire une image du troisième roman d’Andrée Dandurand. Sous la peau des arbres regorge de métaphores forcées et de détails inutiles. L’auteure a un style, certes, qui, s’il ne peut plaire à tous, a le mérite de cerner un climat et certaines ambiances avec un ton poétique longuement réfléchi. Aussi, le livre transpire le travail et il est évident que l’écrivaine ne se fiche pas de ses lecteurs, mais tout ça manque de rythme et d’un autre genre de travail: celui des coupures et des sacrifices.
"Et Rosalia interpellée de la sorte de sourire, son visage aux pommettes rondes et saillantes se plissant aux commissures des lèvres et des yeux en un éventail de ridules bleues et cuivrées, comme la peau d’un fruit mûr." Des images comme ça, il y en a à chaque paragraphe. On finit par se perdre, saoulé par ce style qui n’en finit pas d’en remettre. Il ne s’agit pas d’un rythme lent, mais d’une absence de rythme. Et les multiples détours au pays des superlatifs laissent parfois de la place à l’erreur bête: "Vous êtes peintre? lui demanda-t-il enfin, devinant que ces mots d’appréciation dépassaient les simples commentaires d’un amateur." Or, les paroles éloquentes qui suscitèrent ce commentaire se résumaient à "C’est très beau" et à "J’aime beaucoup ce que vous faites". En matière de laconisme-généralisme devant la toile, on ne fait guère mieux que cette jeune "spécialiste". S’il n’y avait pas un paragraphe de digressions entre chacune des interventions, ce genre d’erreur sauterait au visage.
En revanche, l’histoire n’est pas dépourvue d’intérêt. Il s’agit de chapitres qui racontent, en alternance, les destins individuels de Nadia, une peintre, et de Rosalia, une domestique. Les deux viennent de Buenos Aires, et Montréal, leur terre d’accueil, se révèle, de manière inattendue, le lieu de la libération. C’est dans cette ville qu’elles apprennent, chacune de leur côté, à rompre définitivement avec un passé castrateur. Avant l’exil, Nadia n’arrivait pas à s’abandonner à son élan créateur. Il y avait une ombre au tableau: un homme dont elle était follement amoureuse jouait les paternalistes, affirmant qu’elle ne pourrait pas aller loin sans lui. Pour Rosalia, il s’agit d’une autre réalité: domestique, elle décide de fuir ses maîtres dont elle est largement dépendante, de s’inscrire à l’école et d’apprendre le français. Les deux protagonistes se donnent les moyens pour se délivrer des servitudes du passé, pour s’épanouir.
En dépit de cette propension à vouloir trop en faire et trop en dire, l’auteure a réussi à bien rendre le sentiment de vertige devant l’inconnu. Sur ce point, la lenteur de la narration, malgré les réserves précédemment mentionnées, témoigne de l’évolution prudente de ces femmes qui, marquées par le passé, tentent de s’affirmer dans un nouveau pays.
Sous la peau des arbres
d’Andrée Dandurand
VLB éditeur
2004, 185 p.