Anna Pourquoi : Tragédie grecque
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Anna Pourquoi : Tragédie grecque

Porteur de l’essentiel des symboles et des archétypes de la culture occidentale, le monde hellénique continue de fasciner, ses lieux n’ayant par exemple jamais cessé de nourrir les écrivains et leurs personnages dans leur quête initiatique et spirituelle. Avec Les Initiés, dont l’action se situait en Crète après la Seconde Guerre mondiale, la romancière néerlandaise Hella S. Haasse proposait une fresque polyphonique sur la maturité et l’exigence envers soi, un livre résolument moderne et qui, par sa thématique, renvoyait aux mystères d’Éleusis, pourvoyeurs des bienfaits des déesses de la terre dans la Grèce ancienne.

C’est au tour de Pan Bouyoucas, écrivain québécois d’origine grecque, de proposer sa vision d’une Grèce insulaire et mythique, inexorablement confrontée au monde contemporain. Son court roman a pour cadre l’îlot rocheux de Léros, dominé par une ancienne forteresse transformée en église. Deux religieuses y vivent en recluses, ayant pour tâche de prendre soin de l’icône miraculeuse qu’elle contient: la nonne Nicoletta, femme du monde dans la cinquantaine, polyglotte et lectrice de vieux magazines de cinéma, et la jeune Véroniki, plus sauvage que son aînée, d’origine modeste et cachant sous son voile une beauté d’Aphrodite. Lorsque survient le diacre Maximos, peintre et restaurateur d’icônes itinérant, le désir envahit l’enceinte sacrée, brisant sa quiétude et menant, comme dans toute bonne tragédie, au malentendu et à la mort.

Bel objet littéraire, Anna Pourquoi a toutes les qualités de la novella. Son huis clos au style elliptique parvient à rendre le sentiment d’étouffement des personnages et le glissement vers la pente d’un interdit à la fois dangereux et attirant, metaphorisé par ce précipice au bord duquel se déroule l’action. Limité par son format, le livre laisse toutefois sur sa faim, avec ses personnages peu développés et ses nombreuses pistes non approfondies. On aurait ainsi aimé en savoir plus sur les anciens habitants de la forteresse que la folie incitait à se précipiter dans le vide, mais qui ne sont évoqués qu’une seule fois. Il en va de même des talents de conteur de Maximos, qui livre un récit truculent de la vie de Jean le Baptiste au début du roman, mais qui n’exploite plus son don par la suite… Bref, on ne peut s’empêcher de penser à l’excellent roman qu’aurait pu devenir cette plaquette de Pan Bouyoucas, lequel parvient néanmoins à esquisser les limites de l’homme qui cherche son idéal, écartelé entre la foi et son être charnel.

Anna Pourquoi
De Pan Bouyoucas
Éd. Les Allusifs
2004, 109 p.

Anna Pourquoi
Anna Pourquoi
Pan Bouyoucas