Ataraxie de Karoline Georges : La vie en rose
Avec Ataraxie, KAROLINE GEORGES livre son troisième titre et déploie une œuvre à des lieues du réalisme, versée dans une exigeante quête du sublime. Rencontre.
Au départ, avant même d’entrouvrir Ataraxie, c’est l’objet-livre qui attire l’œil: froid, de l’exacte couleur du mercure, coiffé d’une tresse rose, luisante, semblant danser dans le vide. En quatrième de couverture, une photo de l’auteure, comme un négatif nacré sur laquelle celle-ci apparaît en héroïne moderne, en femme techno. En ouvrant le livre, le lecteur tombe sur un mini-CD dans une pochette, des "chapitres flottants" que l’on nous invite à découvrir "avec en bouche un soupçon de menthe, de cannelle ou de gingembre": on s’est adressé à nos sens. "Je suis une artiste multidisciplinaire, toutes les dimensions du livre sont importantes pour moi, explique Karoline Georges, aussi intéressée par l’histoire de l’art, la danse, le cinéma et la musique que par la littérature. Notre génération arrive avec une culture du visuel importante, normal qu’on ait besoin de l’exprimer."
Corps et âme
Lancé en mars à la Société des arts technologiques à Montréal, Ataraxie est une fiction qui raconte la quête du sublime d’une narratrice cérébrale et perfectionniste mue par un certain idéal de pureté, obsédée par son "accomplissement esthétique". "Elle est totalement évoluée, il ne reste plus d’animalité en elle." Cette narratrice a un amant idéaliste qui comprend sa quête et partage sa vision aseptisée des relations humaines: "Dès le départ, nous avions les même exigences. Épilation complète des corps, excepté la chevelure. Pas de bijoux. Aucune consommation d’ail dans les 36 heures précédant une rencontre. Aucun contact, même verbal, pendant la période s’étendant du prémenstruel au post-menstruel. (…) Nous savions nous aimer." Du moins jusqu’à ce que cette dernière ne fasse un faux pas impardonnable, c’est-à-dire arriver chez son amant avec les cheveux cinq centimètres trop longs, raison pour laquelle celui-ci la livrera aux soins brutaux d’une coiffeuse despote nommée Rosette, nourrie aux gâteaux à la crème, gonflée de cellulite, parfumée chimiquement, cigarette au bec.
"Ataraxie est une quête totale du sublime, et ce, à plusieurs niveaux, autant spirituel, intellectuel que physique. Le rapport au corps est un des aspects les plus visibles de ce que la narratrice expérimente", précise Karoline Georges entre deux gorgées de thé vert. L’auteure de La Mue de l’hermaphrodite (Leméac, 2001) et d’un conte pour enfants, L’itinérante qui venait du Nord (Leméac, 2003), tient à ce qu’on ne la confonde pas avec son personnage, mais partage son rapport mathématique au corps: "On vit à une époque dans laquelle on sait de plus en plus comment fonctionne le corps, on connaît un paquet de produits pour sublimer notre rapport à l’existence. Ce qui m’intéresse, c’est l’épanouissement maximal de notre potentiel existentiel, philosophique et physique. J’ai une vie saine, presque ascétique, mon rapport au corps en est un de respect et j’éprouve une grande fascination pour le fait d’exister."
Est-ce que la beauté est fatale?
Écrit dans une langue épurée, logique, frigorifiée, percée de phrases découpées comme des petites mèches ("Que.", "Or.", "Et.") en adéquation avec le personnage de mathématicienne de la beauté, Ataraxie n’est pas de ces romans qui en mettent plein la vue "stylistiquement" parlant. La grande qualité du livre de Karoline Georges est d’aller jusqu’au bout de son postulat de base, de développer et d’exploiter toutes les ramifications qu’il comprend, de la porno au sublime en passant par la chirurgie esthétique… À un moment, pendant l’entrevue, nous abordons le thème de la beauté et l’auteure, loin d’être un laideron, fait mention d’un accident de voiture à l’âge de 19 ans, une expérience traumatique qui la laissa défigurée un temps. "Je ne suis pas certaine que la quête de la beauté, que l’on juge être une névrose, en soit une. Je pense que c’est un moment de la complexification du devenir humain extrêmement important. On peut regarder cette quête de façon paniquée et misérabiliste mais ce n’est pas mon cas. On en parle toujours à partir d’un point de vue cliché: belles lèvres, beaux cheveux, etc., mais les vrais conquérants de la beauté veulent être parfaitement en forme de tous leurs organes: poumons, cœur, estomac, cerveau."
Ainsi, pendant que la narratrice voit sa chevelure massacrée par le ciseau de Rosette, son amant flegmatique lui pose cette question: "Compte tenu des mouvements de snobisme des élites artistiques et intellectuelles à son égard, étant donné sa surexploitation à des fins mercantiles, vicieuses ou même morbides, expliquez votre rapport à l’esthétisme", question que nous avons soumise à l’auteure elle-même, qui répond par un signe de ponctuation suivi d’un adjectif: "Un immense point d’interrogation enthousiaste."
Karoline Georges dédicacera des exemplaires de son roman au stand 244, samedi de 14 h à 17 h et de 19 h à 21 h, ainsi que dimanche de 14 h à 17 h. De plus, dans le cadre d’une soirée littéraire organisée par les Éditions de l’Effet pourpre, le 17 avril à 22 h au Chantauteuil (1001, rue Saint-Jean), l’auteure fera une lecture-performance.
Ataraxie
de Karoline Georges
Éd. de l’Effet pourpre
2004, 152 p.