L'Empêcheur : Le corps du Christ
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L’Empêcheur : Le corps du Christ

Jésus n’est pas mort, il dort. Depuis deux mille ans, une organisation veille sur son sommeil. Ce n’est pas une secte ni une compagnie pharmaceutique. Ni un parti politique. Cette organisation, qui observe la moindre respiration de ce mort vivant, a choisi de vivre dans le secret et le retrait. Pourquoi?

Sinclair Dumontais, un conseiller en marketing qui signe ici son premier roman, est habitué aux questions. L’auteur a créé le site Internet www.dialogus2.org, qui permet aux internautes de dialoguer avec des grands personnages de l’histoire, les ressuscitant le temps d’une réponse fictive. Avec L’Empêcheur, peu de réponses. Mais le récit, narré par Rémi Bastien, paléontologiste né en 1962, conservateur au Musée d’histoire naturelle, célibataire et sans attache (si ce n’est l’affection qu’il porte à sa clarinette), soulève des tonnes de questions. Et voilà, à mon avis, tout l’intérêt du livre. Sous des allures de roman policier, le style économe de Dumontais nous entraîne très rapidement au cœur d’une situation qui, bien qu’elle tourne volontairement en rond, nous laisse espérer plus d’une issue. Comme lecteur, on reste sur nos gardes, suivant le filon de départ qui nous place ni plus ni moins dans une position d’enquêteur. Mais l’enquête se transforme peu à peu en quête philosophique.

Si les premières lignes nous lancent sur des pistes politiques, religieuses ou monétaires, on se surprend dès le milieu du livre à reléguer au second plan ce type de questionnements. Aussi, tout ce qui pouvait agacer le lecteur rationnel (une multitude de petits détails sur le fonctionnement de l’organisation semblent flous) prend le bord car on sort pratiquement du livre, se concentrant maintenant sur la proposition et y allant de nos hypothèses selon notre morale, notre éthique et nos croyances.

Difficile de commenter L’Empêcheur sans trop en dire sur l’histoire qui, nous emmenant de question en question plutôt que de découverte en découverte, témoigne d’une maîtrise de l’intrigue, de l’étrangeté, et nous réserve tout de même sa part de surprises. On peut s’abandonner au roman dans un état de pur divertissement, mais on sent dès le début, avec l’enlèvement kafkaïen qui ouvre le livre, que l’auteur propose beaucoup plus que de suivre le déroulement de ce récit peu banal et efficace, mais qui fait du surplace. Aussi les personnages, en décidant de ne rien décider quant à l’objet de leur observation, nous renvoient-ils à des questionnements fondamentaux: nous-mêmes, que ferions-nous devant un homme de 2000 ans dont tout porte à croire qu’il s’agit bel et bien du petit Jésus? Le verrions-nous comme un dieu? Garderions-nous le silence? Face aux doutes qui faisaient bien notre affaire, verrions-nous en ce vieillard muet comme une carpe une forme de réponse?

L’Empêcheur ne peut pas se comparer aux grands romans existentialistes, mais il nous pousse pour le moins à la relecture de ceux-ci et nous donne envie d’ouvrir quelques livres de philo. C’est déjà pas mal, non?

L’Empêcheur
de Sinclair Dumontais
Éd. Stanké
2004, 215 p.