Ouest contre Ouest : Frères ennemis
Les opposants à la guerre en Irak, Français en tête, ont commis une grave erreur en prenant le parti de la tyrannie au détriment de la démocratie, estime ANDRÉ GLUCKSMANN. Ce faisant, ils ont causé une fracture au cœur même du monde occidental, dont les conséquences sont imprévisibles.
Ainsi, l’axe Paris-Berlin-Moscou a raté la cible. Le combat de l’heure n’est pas celui contre la toute-puissance américaine, mais contre la tyrannie et le terrorisme. "La question des questions n’est pas multipolarité ou hégémonie, mais nihilisme ou civilisation", écrit André Glucksmann dans Ouest contre Ouest, se défendant toutefois d’être parmi les tenants d’un choc des civilisations.
L’ouvrage se lit de bout en bout comme un rappel à l’ordre à ceux qui croient que le discours de la paix à tout prix est porteur d’avenir. L’intellectuel, qui n’a jamais craint la polémique, prône depuis 30 ans, aux côtés de Bernard Kouchner entre autres, "le droit et le devoir d’ingérence" afin de renverser les dictatures. Certes, la guerre est une sale entreprise qui fauche les vies humaines, mais "pour ne pas ajouter une guerre à toutes les guerres, allons-nous définitivement laisser les crimes s’ajouter aux crimes? Aurions-nous déjà oublié les horreurs commises au Kosovo et au Rwanda au nom de la non-intervention?" demande-t-il.
L’Occident est aux prises aujourd’hui avec une lutte fratricide qui risque de lui faire perdre de vue ce qui l’unit: son combat pour la démocratie et les droits humains. "La guerre irakienne (…) scinde de l’intérieur des cœurs qui vibrent depuis toujours à l’unisson. Elle partage des esprits qui professent les mêmes convictions."
Racine de la fracture? Le 11 septembre. Glucksmann se range ici du côté des "neo-cons" américains et de tous ceux qui jurent que le monde a basculé en ce jour fatidique. Il n’y aurait plus maintenant que les "attardés du 10 septembre et les réveillés du 11". Depuis, les repères s’embrouillent. "Qui est ami? Qui est ennemi? Qui sommes-nous? Un grand débat stratégique s’est ouvert avec fracas. Il dominera la décennie qui vient."
Pour Glucksmann, la finalité des actions américaines en Irak est sans conteste la neutralisation de la menace terroriste. Et si, au premier chef, il fallait renverser Saddam Hussein, le véritable péril provient de l’Arabie Saoudite, terreau du terrorisme international. L’objectif militaire des Américains était Bagdad, le but politique est Riyad. "Pas question cependant d’user de force armée. (…) La Mecque est un sanctuaire intouchable. Seule solution: contourner l’obstacle, neutraliser la région, (…) libérer Bagdad pour geler Riyad."
Malgré un argumentaire parfois intéressant, l’auteur évite soigneusement de disserter sur les enjeux géostratégiques ou économiques susceptibles de motiver aussi les actions militaires. Silence complet également sur le fait que certaines démocraties ont des accointances avec des groupes terroristes et des tyrans, quand elles ne mettent pas carrément en place ces derniers…
Ouest contre Ouest
d’André Glucksman
Éd. Plon
2003, 209 p.