Iotékha' : Brûler vif
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Iotékha’ : Brûler vif

Quelle parenté secrète y a-t-il entre la plume du huard et celle de l’écrivain? Entre l’amour d’une mère pour son enfant trisomique et la tempête qui s’est abattue sur l’île de la Réunion dans la nuit du 15 au 16 mars 1952? Avec Iotékha’, "il brûle" en langue mohawk, Robert Lalonde poursuit son exquise étude des corrélations entre les choses, entre des réalités en apparence éloignées, mais qui mises en contact déploient des harmoniques de sens et de poésie.

Pendant 150 pages aux allures de cahier, on assiste à d’alchimiques et improbables rencontres, celle par exemple de l’acrobate ukrainien Viktor Kee, de l’écologiste allemand Joseph H. Reichholf et du martin-pêcheur d’Amérique, tous trois déclarés virtuoses que rassemble "l’allégresse extravagante du vertige". Ailleurs, on croise l’écrivaine Helen Keller, qui a su répertorier ses "émotions tactiles" dans une abondante et savoureuse déclinaison d’images, elle qui, rappelons-le, était sourde et aveugle de naissance. "La tristesse du froid et du râpeux, l’effroi du piquant"… Pas étonnant que Robert Lalonde soit fasciné par de telles "correspondances".

À travers ces fragments cousus de références littéraires et de réflexions sur les moteurs de la création, l’auteur du Vaste monde (1999) nous replonge de temps à autre dans les épisodes initiatiques de son enfance, l’un des plus significatifs étant sans doute la découverte du tabac, dans le jardin de son grand-père qui en cultivait lui-même quelques plants. Ce tabac qu’il va bientôt fréquenter assidûment, et qui va devenir son fidèle compagnon d’écriture. La clope, la "touche", le feu qui le consume peu à peu, exquis bourreau dont l’écrivain parle avec amour autant qu’inquiétude, en attendant le résultat de radiographies qui lui annonceront peut-être la maladie prévisible des accros.

Ce que dégage patiemment Robert Lalonde, empruntant tous les détours que le genre permet, c’est la moelle de nos êtres; les associations qui se trament en nous et qui définissent bien mieux que nos passeports ou nos cartes d’affaires le comment de notre appartenance au monde: "C’est au fond de lui-même que chacun est requis d’abord, et non pas au café, au travail, en réunion, sur la place publique, où l’on est de passage."

Derrière ces lignes, une ligne non écrite, qui émane de partout: brûler, d’accord, mais alors que ce soit d’ivresses, d’étonnements, d’amour, que la vie ne soit pas qu’un feu de paille…

Iotékha’
de Robert Lalonde
Éd. du Boréal
2004, 168 p.