Pyongyang : Le meilleur des mondes
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Pyongyang : Le meilleur des mondes

S’il est une chose que nous ont fait réaliser les embryons de polémique soulevés autour des Triplettes de Belleville, c’est à quel point l’univers du film d’animation reste méconnu. Dans sa dernière bande dessinée, intitulée Pyongyang, Guy Delisle nous offre un portrait saisissant de cette "industrie" où il a œuvré de nombreuses années, témoin de sa récente métamorphose. Ce Québécois, qui a vécu la fermeture des maisons montréalaises, a tenté sa chance en Europe, se taillant une place dans des studios où, il n’y a pas si longtemps, toutes les étapes de la création avaient lieu au même endroit. Et depuis que la majeure partie de la production des séries européennes est effectuée en sous-traitance sur le continent asiatique, Delisle y a été envoyé pour diriger des studios, à Nankin, Shenzhen, Pyongyang.

Dans cette dernière ville, capitale du "pays le plus fermé au monde" et au communisme le plus archaïque, Delisle, employé par TF1, a passé deux mois à superviser une équipe de la Sek où des artisans nord-coréens travaillaient essentiellement sur des séries regardées par les enfants occidentaux. Consacré à ce séjour, son livre est d’une facture similaire à celle de Shenzhen (paru en 2000 à L’Association), à mi-chemin entre le journal et le reportage. Se mettant en scène, l’auteur y fait figure d’anti-Tintin, dressant l’inventaire des multiples contradictions auxquelles fait face une population gouvernée par un régime dictatorial et totalement coupée du reste de la planète.

La Corée du Nord de Delisle est un monde "où le bon sens n’existe pas". Seul pays à ne pas être connecté à Internet, il est aux prises avec la famine et recourt à l’aide humanitaire mais possède rien de moins que la quatrième armée au monde et une splendide autoroute à quatre voies servant uniquement à conduire les rarissimes touristes à un musée érigé à la gloire du président Kim Il-Sung. Surveillé et accompagné dans tous ses déplacements par un guide de l’État, le narrateur ne peut établir de réel dialogue avec les Coréens, même ceux travaillant pour lui, qui vivent sous la peur constante d’une dénonciation. Sur un mode binaire, la bande dessinée est ainsi formée de vignettes successives où s’opposent le discours prudent de Delisle et les répliques qu’il rêve de donner à ses interlocuteurs, les mensonges fournis par le cerbère du gouvernement et les faits révélés par des étrangers arrivés avant lui.

Le ton sarcastique omniprésent souligne à gros traits la déconvenue de celui qui se retrouve face à un peuple victime d’un conditionnement digne d’Orwell et de son 1984. Ironie du sort: c’est ce roman que Delisle avait apporté pour tuer le temps à Pyongyang, l’offrant à son interprète coréen qui n’en comprit pas le sens…

Pyongyang
de Guy Delisle
Éd. L’Association
2003, 178 p.

Pyongyang
Pyongyang
Guy Delisle