Destination morgue : Ellroy confidentiel
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Destination morgue : Ellroy confidentiel

Comme d’autres écrivains acoquinés au crime et à l’hémoglobine, Stephen King et Patricia Highsmith, pour n’en nommer que deux, l’Américain James Ellroy passe aux aveux et répond une fois pour toutes à une question que sa mère lui aurait sans doute posée, n’eût été de ce glauque assassinat non résolu dont elle fut victime à la fin des années 50: "Où vas-tu trouver toutes ces idées tordues?"

Dans l’inattendu Destination morgue, l’auteur du Dahlia noir et de L.A. Confidential se révèle par fragments, dont les deux premiers, dans lesquels il fait un retour sur son enfance et sur son adolescence aussi chaotiques et orageuses qu’on l’imaginait, sont fondamentaux. "Mon père m’a appris à lire quand j’avais quatre ans. Cela m’a donné accès aux gazettes à scandale et à la Bible. […] Dans la Bible, il y avait des histoires de cul et de carnage total. Même chose dans les gazettes à scandale." Ellroy a dix ans lorsque sa mère meurt et, tout au long du bouquin, on découvre l’impact de cette perte sur sa destinée d’écrivain: "Je brûlais de punir un ennemi invisible. J’étais sur les traces de l’assassin de ma mère […]. Je ne savais pas que j’amassais des idées pour les pages que j’écrirais plus tard." Ainsi, dans ses fantasmes, Ellroy se visualise en voyou rôdeur, hantant les terrains vagues de son Los Angeles natal, prêt à voler au secours d’une victime de viol pour la sauver illico d’une mort sordide à la seconde précise où, sans son intervention, l’arme blanche se serait enfoncée en elle.

Très tôt laissé à lui-même (son père expire d’une crise cardiaque quelques années après sa mère), Ellroy développe des comportements inusités tel celui d’entrer chez les filles qui lui font de l’effet mais qu’il n’ose approcher, pour aller se glisser dans leurs draps et les humer en leur absence, avaler quelques doses de médicaments repérés dans la pharmacie familiale, les noyer d’une lampée de scotch, puis filer avant que la famille ne rentre à la maison, sans jamais en glisser un mot à ses amis qui auraient qualifié ces entrées par effraction douce d’"agressions hippies". Une anecdote pigée parmi d’autres qui révèlent toutes que, jusqu’à ce qu’il se mette à plancher sur ses romans rougeoyants, James Ellroy était un danger, pour lui-même bien davantage que pour les autres.

Vient ensuite un bloc habile, J’ai les infos, dans lequel l’écrivain, en retraçant l’histoire de la gazette à scandale et des tabloïds, en dit tout autant sur les mœurs de l’Amérique des années soixante et sur son histoire personnelle, dans ce style sauvage et frondeur, direct mais senti qui fait sa plume.

Avec Stephanie, par lequel on constate toute l’empathie que ressent l’écrivain pour les victimes d’actes criminels, ces fragments sont les plus toniques du bouquin et nous font presque oublier les longueurs de Sport sanglant, cet interminable combat de boxe, ainsi que Le petit salopard, moins réussi, sans parler d’Un baisodrome à Hollywood, un texte de fiction qui compte pour le tiers du bouquin et qui n’est malheureusement pas du grand Ellroy. Et à la fin, une question subsiste: pourquoi certains traducteurs de romans noirs se sentent-ils obligés de remplacer le slang salace des quartiers les moins fréquentables de la ville des anges par un argot boursouflé et agaçant qui finit par entraver le plaisir de la lecture?

Destination morgue
de James Ellroy
Éd. Rivages
2004, 290 p.

Destination morgue
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James Ellroy