Le Dernier Ami : Les copains d’abord
Hommes de milieux différents, Mamed et Ali se sont liés alors qu’ils fréquentaient le même lycée de Tanger à la fin des années cinquante. Leur amitié, qui occupera même chez eux plus de place que leur vie conjugale, durera trois décennies, période durant laquelle ils se feront les observateurs critiques du Maroc de la fin du XXe siècle. Partageant les cafés, les livres et les filles, assoiffés de conversations, ils survivront aux tortures et aux geôles du général Oukfir où les ont conduits des opinions politiques exprimées un peu trop librement, puis se marieront et auront des enfants. Même l’émigration de Mamed en Suède, où il accepte un poste de médecin, ne réussira pas à briser le lien, au grand désespoir de Ghita, épouse jalouse et souffrant de ne pas avoir l’exclusivité affective de son mari.
Avec Le Dernier Ami, Tahar Ben Jelloun signe un quinzième roman habité par les habituels motifs de l’amour, de l’amitié, de l’immigration, de l’oppression, dominés ici par celui de la trahison. Il y aura d’abord cet ami dénonciateur, auquel les deux hommes doivent leur enfermement, mais aussi la trahison de Mamed qui rompra finalement avec Ali, incapable de lui avouer la maladie mortelle dont il est atteint et de lire son agonie dans le triste miroir que constitue le regard de l’autre. Et qui croira, somme toute, que la rupture fera moins de mal à son ami que sa disparition.
À travers la double narration, celle d’Ali et celle de Mamed, une même histoire nous est racontée sous deux angles différents. Issu d’une famille tangéroise éduquée, Mamed (diminutif de Mohamed), qui était un enfant laid et rabougri, deviendra un homme égoïste et par moments, pervers. C’est par sa bouche que Ben Jelloun exprime le déchirement vécu par l’immigrant: "Il faut que j’arrive à un équilibre entre le pays de la démocratie idéale et le pays de la corruption généralisée, entre le pays de la justice et celui des compromissions, entre la solitude des individus et l’invasion familiale." Demeuré au pays, Ali est quant à lui un naïf et séduisant Fassi qui, devenu enseignant, se voue corps et âme aux autres. Il sera littéralement détruit par l’abandon de son ami.
Les inconditionnels de la culture nord-africaine en général et de Ben Jelloun en particulier goûteront sûrement son nouvel et court opus. Rédigé dans ce style épuré et sans emphase qui caractérise toute l’œuvre de ce prolifique romancier immigré en France, Le Dernier Ami offre de belles descriptions d’une société remplie de contradictions, écartelée entre les traditions et la modernité. On peut toutefois se demander la place que fera le temps à ce dernier livre, qui reprend les thèmes de prédilection de l’auteur sans en approfondir aucun, aux côtés d’ouvrages plus substantiels tels que L’Enfant de sable, La Nuit sacrée et Cette aveuglante absence de lumière.
Le Dernier Ami
de Tahar Ben Jelloun
Éd. du Seuil
2004, 148 p.