Un amour de jeunesse : Quand on arrive en ville
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Un amour de jeunesse : Quand on arrive en ville

Nous aurions tort de nous arrêter à ce titre trop banal, qui confère au roman d’Ann Packer des allures d’Harlequin. L’intérêt d’Un amour de jeunesse réside justement dans cette manière si habile de marcher sur la frontière entre l’historiette kitsch et le récit, précis et intelligent, du banal quotidien d’une jeune Américaine partie du Wisconsin pour s’installer à New York. Là, après l’émerveillement devant la nouveauté et les multiples possibles, elle trouvera sa place, et cernera sa réelle identité, en observant son passé avec un œil nouveau et un détachement nécessaire.

Ce passé, bien que très court (elle n’a que 23 ans), est miné de culpabilité et de sentiments contradictoires. Son amour de jeunesse, Mike, le seul homme qu’elle ait réellement connu, est devenu quadraplégique à la suite d’un accident. À première vue, c’est lui et ses fragiles perspectives d’avenir qu’elle fuit, un jour où son Madison natal devient la terre des suffocations et des interdits. Mais assez vite, on voit que c’est tout un univers qu’elle doit quitter: celui, juvénile, de l’école secondaire et des cercles d’amis qui perdurent, celui aussi du milieu familial et des obligations qui en découlent. La fuite devient donc une quête, où sont mis à l’épreuve valeurs et préjugés.

Si tous les clichés concernant la ville et la banlieue sont ici exploités, ils prennent néanmoins racine dans un réel fossé que l’auteure semble bien connaître. Cette dernière ne juge pas, elle constate. Ainsi trouvons-nous du réconfort dans l’intimité des deux mondes. Car c’est de cela qu’il s’agit: l’intimité profonde. Les petits gestes qui font le bonheur, ceux qui blessent, qui inquiètent, ceux qui créent le mystère, ceux qui nous laissent dans le flou, tous sont analysés avec une certaine candeur, sinon une naïveté non feinte, qui donne au personnage principal une dimension des plus paradoxales. Elle est curieuse et réellement intéressée, à défaut d’être véritablement intéressante. Elle a un destin et une nature prévisibles qu’elle semble toujours vouloir déjouer, ne serait-ce que pour se surprendre elle-même ou encore pour provoquer le geste créatif qui sommeille dans l’ordinaire. Cet état, cette façon de bousculer un peu la vie, on les retrouve aussi dans la structure même du roman qui échappe ainsi à la simple lecture d’été.

"Tout art, que ce soit la peinture, la poésie, la musique, la danse ou quoi que ce soit, peut se diviser en deux groupes, dur et mou, et aussi agréable que soit le mou, le dur le dépasse toujours, ce qui reflète peut-être une loi de la nature." C’est Kilroy qui parle ainsi. L’amant de la narratrice semble avoir une théorie sur tout, et d’une certaine manière, il est peut-être ce malin génie qui sauve Ann Packer de la toile trop pastel. Si on poursuit l’analogie avec la peinture, la romancière se situe beaucoup plus du côté de Monet que de Picasso. L’un n’est pas moins intéressant que l’autre, mais ne remplit pas la même fonction. Ce roman possède donc une direction bien maîtrisée par l’auteure, qui nous amène où elle veut sans trop craindre qu’on prenne le tout pour une peppermint rose. Elle possède ce don de conteur propre aux écrivains américains et aussi ce regard journalistique, presque clinique, sur la comédie humaine. Mais elle est bien du côté du "mou", elle le sait, et s’en sort très bien sous cet angle.

Un amour de jeunesse est donc un livre accessible qui nous entraîne rapidement dans un univers, somme toute, subtil. Si la traduction française, efficace mais jonchée d’anglicismes, ne révèle pas une grande prosatrice, elle dévoile une romancière captivante et pertinente.

Un amour de jeunesse
d’Ann Packer
Éd. Boréal
2004, 531 p.

Un amour de jeunesse
Un amour de jeunesse
Ann Packer