Kurt Cobain : Faire face à la musique
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Kurt Cobain : Faire face à la musique

C’est peut-être le fait que nous les ayons vécues, ces années grunge, que nous ayons assisté à la fabrication du mythe, que nous ayons vu Kurt Cobain défoncé à l’héro en spectacle, novembre 93, à l’Auditorium de Verdun, que nous ayons été de ceux qui gravèrent ce mot à l’exacto, Nirvana, sur les pupitres des cours rasants du secondaire et que nous ayons incarné, sans le savoir, tout ce qu’il dénonçait dans Smells Like Teen Spirit, cet hymne brut qui résonna très fort en cette fin de siècle. C’est peut-être tout ça et le peu de temps écoulé depuis le suicide de Kurt Cobain – 10 petites années tout de même symboliques – qui font que nous abordons avec un mélange de méfiance et de scepticisme les publications nées autour de ce sombre anniversaire.

Mais d’un autre côté, et pour les mêmes raisons, c’est ce qui les rend intrigantes. En attendant The Last Days, le film de Gus Van Sant consacré aux derniers jours de Cobain, voici une petite sélection d’ouvrages à des lieues des ragots fumeux.

Une fois passé outre à la désastreuse couverture de Nirvana, une fin de siècle américaine, signé Stan Cuesta, journaliste rock et biographe (U2, Édith Piaf, Léo Ferré, Queen), le lecteur découvre un ouvrage centré sur les influences musicales de Cobain. Très fouillé, ne sombrant jamais dans le "mémérage" sensationnaliste, éthiquement impeccable, ce livre fera le bonheur de ceux qui ont suivi la mouvance grunge (qui signifie "crasse entre les orteils", soit dit en passant). Si Fugazi, Babes in Toyland, Mudhoney et Dinosaur Jr sont des noms qui ne vous disent rien, il se peut que vous trouviez le temps long malgré les annexes détaillées; sinon, plongez dans ce bouquin étonnant et exhaustif, qui fait le tour de l’angle choisi.

Côté entrevues avec le groupe, Les Inrocks 2, petit frère du magazine Les Inrockuptibles, publiait dernièrement un numéro entièrement consacré à Nirvana qui regroupe, entre autres, les meilleurs entretiens réalisés avec Cobain, Grohl et Novoselic, et les articles les plus percutants. Incontournable.

Bien sûr, on peut difficilement ignorer le controversé Journal du leader de Nirvana. Rongé de scrupules mais néanmoins curieux, on l’ouvre délicatement, en pensant à Max Brod, meilleur ami de Franz Kafka, qui fit publier le journal de l’écrivain bien que celui-ci s’y fût farouchement opposé de son vivant. Aujourd’hui, tous deux gisent côte à côte dans un cimetière juif de Prague. On pense aussi à cet ami écrivain qui déchire son journal au jour le jour, on l’a vu faire, des pages et des pages voletant jusque dans les poubelles, et à ce sourire zen qu’il affiche après l’opération.

On connaît mal Kurt Cobain, c’est ce que l’on réalise en traversant ce journal "intime", qui est une fenêtre ouverte sur son hypersensibilité, son intelligence et son humour. Principalement consacré à la musique, la sienne et celle qu’il aime (voir les nombreuses listes de ses chansons, albums et groupes préférés), il s’agit d’un recueil de pensées et de questionnements sur l’ennui, la célébrité, la gestion du succès, l’indépendance, la dépendance aux drogues, le rejet de valeurs associées à une certaine droite américaine (machisme, racisme, homophobie), auxquels s’ajoutent quelques paroles de chansons qui, malgré une traduction très franchouillarde et parfois indigeste, demeurent éclairantes.

Enfin, ce Journal nous rappelle que derrière le mythe, il y eut un idéaliste radicalement désillusionné.

Nirvana, une fin de siècle américaine
de Stan Cuesta
Éd. Le Castor astral
2004, 294 p.

Journal
de Kurt Cobain
Éd. 10/18
2003, 315 p.
Nirvana, l’histoire d’un mythe
Les Inrocks 2
2004, 98 p.