Michael Connelly : Vices de procédure
Le maître du roman policier MICHAEL CONNELLY était récemment de passage à Montréal. Nous en avons profité pour causer avec lui de son petit dernier, Los Angeles river.
Difficile de parler du dernier roman de Michael Connelly sans revenir sur cette scène de L’Oiseau des ténèbres, où le célèbre enquêteur Harry Bosch découvre le dossier de Terry McCaleb le concernant et, bien sûr, se met à l’éplucher malgré le caractère illégal du geste. En quelque sorte, tout est là. Bosch, le sombre personnage n’hésitant jamais à enfreindre les règles pour obtenir ce qu’il considère comme la justice, et McCaleb, plus lent mais plus droit, dressant dans ce dossier une sorte de miroir pour Bosch. Et on l’aimait moins, McCaleb, pas seulement parce qu’il était plus terne, mais aussi parce qu’il dépeignait Bosch sous un angle peu flatteur. Bien sûr, les deux s’appréciaient – ils se sauvèrent d’ailleurs la vie mutuellement. Mais nous, lecteurs, nous retrouvions devant le héros et l’antihéros. Dans Los Angeles river, Bosch enquête maintenant sur la mort de McCaleb, et par le fait même retourne sur les traces de Backus, cet ancien du FBI surnommé le Poète.
"Harry Bosch est une bonne personne et il a bon cœur, mais son boulot d’inspecteur le ramène toujours dans le gouffre, dans les ténèbres. Une part d’ombre s’est infiltrée en lui, et c’est avec ça qu’il se démène", raconte Michael Connelly tout en paraphrasant Nietzsche, comme dans ses livres, ajoutant que "lorsque l’on contemple l’abîme, l’abîme regarde aussi à travers vous", tout comme cette maxime (reprise dans Lumière morte, l’avant-dernier roman) selon laquelle "celui qui combat les monstres doit veiller à ne pas devenir un monstre lui-même".
Le disciple de Chandler s’est largement inspiré de la vie familiale du romancier James Ellroy pour créer Bosch qui, depuis deux livres, s’est fait détective privé. Mais comme le font remarquer certains personnages, Bosch a toujours agi en cow-boy solitaire, comme un privé, même lorsqu’il faisait partie d’une institution comme le LAPD. Connelly, un ancien journaliste d’affaires judiciaires, reconnaît d’ailleurs que la mythologie du privé alimente plus facilement la littérature, mais, signe des temps, les structures étant ce qu’elles sont, un privé peut difficilement rivaliser avec les ressources techniques dont disposent les commissariats de police d’aujourd’hui. De fait, bien qu’ayant de solides relations, Bosch ne dispose plus de plusieurs longueurs d’avance comme autrefois; il doit, plus que jamais, s’appuyer sur son instinct, son expérience et son cran. Et, doit-on le préciser, il se fait vieux, notre Harry. "J’ai fait une erreur en créant un personnage plus âgé que moi, concède Connelly, je vois bien que je devrai abandonner Bosch peut-être plus tôt que je ne le souhaiterais. Mais je voulais, entre autres, qu’il ait connu la guerre du Viêt Nam, comme 80 % des policiers de Los Angeles."
De Bosch, Connelly assume plusieurs opinions dont celles relatives au cinéma. "Du Hollywood tout craché. C’était Clint Eastwood qui avait joué le rôle de Terry bien qu’il eût quelques dizaines d’années de plus que lui", rapporte Bosch au sujet de Créance de sang, le film tiré du roman du même nom. Plusieurs dialogues des premiers chapitres sont d’ailleurs là pour rectifier la situation, remettant la fiction sur le chemin de la "vraie" fiction. On nage dans l’univers tissé serré de Connelly, et ce n’est pas un film avec une autre fin qui va venir bouleverser le destin littéraire des personnages californiens du romancier. Celui qu’incarnait Eastwood est mort, et comme dans tout bon roman noir, la corruption et le mal se poursuivent. "J’ai fait revenir le Poète pour régler son sort", assure l’auteur, mais Los Angeles demeure un lieu incertain où le danger, naturel ou non, peut surgir de partout. "Le nouveau chef du LAPD, dans la vraie vie, a dit dernièrement qu’il espérait assainir suffisamment son commissariat pour que Bosch revienne!" Si ce n’est pas ça la gloire…
Los Angeles river
de Michael Connelly
Éd. du Seuil
2004, 496 p.