Bubble gum : Péter la balloune
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Bubble gum : Péter la balloune

Sur la couverture, l’auteure souffle une bulle de gomme et sa photo apparaît "pixélisée", comme sur un écran de télé. On ouvre, la voilà poseuse, cigarette au bec, un béret et une moue, des yeux d’écureuil, en plus elle s’appelle Lolita! Vingt-deux ans, un premier roman déjà écoulé à 40 000 exemplaires, Hell, et d’ailleurs celui-ci, Bubble gum, aurait pu porter le même titre. Grasset se dévergonde, se dit-on, mais Beigbeder a créé un important précédent, ne l’oublions pas, et Lolita Pille apparaît dès lors comme la sœurette de l’autre, par une sorte de filiation littéraire, qui pointe, chez elle comme chez le premier, une fascination pour le factice, le glamour et la gloire.

Comme dans Hell, la narration est assurée, tour à tour, par un personnage féminin puis masculin. D’un côté il y a Manon, début vingtaine, pure et curieuse, tempérament bien trempé, animée du désir de s’élever au-dessus de sa condition, ce qui passera inévitablement par le fait de quitter Terminus, le village soporifique qui l’a vue grandir, pour gagner Paris, de quitter sa peau de petite provinciale pour en revêtir une nouvelle qui ressemblerait à un justaucorps Gucci. Car elle meurt d’envie d’être mannequin et, en attendant, bosse dans un resto minable, le bien nommé "Trying so hard". Jusqu’à ce que Derek Delano, jeune milliardaire franco-argentin à qui tout sourit sauf le bonheur, décide, dans une sorte d’élan amoral, entre une cuite, une pute et une raie de coke, pour tromper l’ennui qui le taraude, de briser une existence, de "massacrer un destin, par hasard et tout à fait injustement, choisir un innocent, quelqu’un qui pourrait être heureux, qui n’a pas encore été corrompu […] et en faire une épave dans mon genre", de lui péter sa balloune, quoi.

La rencontre aura lieu.
Bubble gum n’est pas un chef-d’œuvre, mais il fait passer un agréable moment de lecture. L’alternance, d’un chapitre à l’autre, entre les narrateurs – une structure que l’auteure maîtrise et dont elle exploite tous les possibles – donne au roman un rythme haletant. Lolita Pille a le don de l’empathie, qualité qui fait les bons romanciers, et une grande facilité à doter ses personnages d’une psychologie crédible, sans parler de son humour, intégré à des dialogues efficaces, à travers lesquels elle déploie un irrésistible sens de la répartie. Par exemple, lors de la promo de son premier film, Manon, hystérique, monstrueuse et camée, désormais devenue une star, une "people" souriant sur les couvertures de tous les Elle du monde, se fait mettre en garde par Derek:

"Manon, tout ce que je te demande, c’est de te souvenir de ton prénom quand tu arriveras à la conférence.
Je n’ai qu’à… ouvrir les journaux pour ça!"

Toutes ces qualités ne réussissent pourtant pas à faire avaler quelques tournures naïves, un style parfois trop appuyé, et certaines dimensions de l’histoire complètement occultées, qu’il aurait valu la peine de creuser davantage. Auxquels s’ajoute une finale imprévisible mais décevante…

Laissons l’auteure-nymphette mûrir un peu. Nous la rattraperons lorsqu’elle aura quitté son cocon.

Bubble gum
de Lolita Pille
Éd. Grasset
2004, 338 p.

Bubble gum
Bubble gum
Lolita Pille