Louise Amour : Parfum de femme
"La neige, les cils des nouveaux-nés, les noisettes enchâssées dans leur flamme vert clair, les moineaux dont les petits yeux égarés se souvenaient du ciel, et les livres surtout, les livres d’où parfois sortaient, quand on les ouvrait, un nuage blanc pur dont la forme rappelait celle d’un visage bienheureux."
Tel est le monde de Christian Bobin. Une vaste récolte de plaisirs inconnus, de bonheurs minuscules, de charmes imperceptibles: un monde tel qu’on ne le voit plus. Bobin capte les moindres détails de la vie, saisit chaque instant, et fait renaître, sous sa plume, la beauté des scènes simples et éphémères. Jouant du visible et de l’invisible, il donne à voir jusqu’à l’absence et le silence, et nous ouvre les yeux "sur un monde dont l’apparence est sombre et la substance miraculeuse".
Couronné de succès avec Le Très-Bas, qui raconte la vie de saint François d’Assise, Bobin fait de ses œuvres plus qu’une contemplation, une méditation teintée de religion. Elles dévoilent à elles seules sa philosophie, celle d’un auteur solitaire, amoureux permanent. Il y fait notamment L’Éloge du rien, recherche La Part manquante, attend La Femme à venir, admire Une petite robe de fête et prie: Donne-moi quelque chose qui ne meure pas.
Miroir d’un écrivain retranché dans sa Bourgogne natale, préférant la compagnie des livres à celle des hommes, Louise Amour est de la même essence. Le nouveau roman de Christian Bobin parle une fois de plus, dans un style au bord du fleuri, d’amour avec un grand A. Il raconte la passion religieuse et idolâtre d’un théologien pour une parfumeuse, qui s’immisce dans l’univers cloîtré de ce biographe des saints par le simple pouvoir de son nom, "parfait, synthèse de tous les noms rêvés": Louise Amour. Un détail minuscule, mais en immenses majuscules, qui fait basculer la vie du narrateur et évince une à une ses convictions les plus pieuses.
Créatrice d’un nouveau parfum, "Madone", Louise Amour souhaite utiliser une citation extraite de l’un des livres du narrateur pour en faire la promotion: "Un parfum de rose fait le fond de cette vie." Bien entendu, le narrateur compte refuser, par principe… Louise Amour lui écrit une lettre. Cette lettre conduit à une rencontre. Cette rencontre bouleverse l’ordre des choses. L’auteur de mystiques devient incapable de dire non. Derrière le nom de Louise Amour, dont il est immédiatement tombé amoureux, il découvre un sourire, fatal, qui achève de le séduire. Le jeune théologien abandonne Dieu, le ciel, sa cage de papier et ses souvenirs d’enfance, pour consacrer chacune de ses pensées, chacun de ses écrits, à celle à laquelle il voue un culte sans limite. Il se dédie corps et âme à sa nouvelle religion. Pour le meilleur… et pour le pire.
Louise Amour est une fable pleine de charme, un récit intense et poétique comme Bobin sait si bien les écrire. Mais peut-être que pour cette raison même, il prend, pour ses lecteurs, un air de déjà lu.
Louise Amour
de Christian Bobin
Éd. Gallimard
2004, 142 p.