Malavita : La double vie de Frederick
Ce sont des voisins bien étranges que campe TONINO BENACQUISTA dans son dernier roman, Malavita… Quand les gens qu’on croit connaître s’avèrent bien différents de l’image qu’on s’en est faite.
Dans une paisible banlieue normande qui n’a pas été bouleversée depuis le Débarquement de 44, l’installation d’une famille d’Américains est loin de passer inaperçue. Surtout lorsque le père, un soi-disant écrivain dénommé Frederick Blake, passe le plus clair de son temps enfermé avec sa machine à écrire tandis que sa femme Maggie, soucieuse de son intégration, dépense son énergie en des œuvres de charité locales. Avec leurs deux enfants, Belle et Warren, ils connaîtront une popularité croissante dans leur entourage pour qui le barbecue organisé par Maggie devient l’événement mondain de l’année. Mais depuis leur arrivée, d’étranges événements se produisent à Cholong-sur-Avre: une épicerie prend feu, un plombier ressort de chez les Blake avec les deux bras cassés, une explosion détruit les locaux d’une usine dont les rejets polluaient impunément l’eau de la région.
On aura vite compris que les Blake de Malavita, le dernier roman d’un Tonino Benacquista au sommet de sa forme, ne sont pas ceux qu’ils prétendent. Fred Blake, de son vrai nom Giovanni Manzoni, est un ancien caïd repenti dont les aveux ont fait tomber les plus gros chefs de la Causa Nostra contrôlant la côte est des États-Unis. Appliquant le programme de protection des témoins, trois agents du FBI sont dorénavant affectés à temps plein à la sécurité de sa famille. Ils ont organisé le changement d’identité des Manzoni ainsi que leur déménagement en France et se sont eux-mêmes installés dans l’immeuble d’en face d’où ils surveillent les allées et venues de la petite rue de province. En plus de déjouer les tueurs chargés par la pègre de les débusquer, les agents doivent composer avec les membres de cette famille qui emploient des méthodes peu conventionnelles, voire explosives, pour résoudre leurs difficultés quotidiennes.
Conteur accompli, Benacquista excelle dans ses descriptions quasi balzaciennes de Cholong, archétype de la ville de province, et dans le récit de la transformation qu’elle subit avec l’arrivée de la famille de malfaiteurs. Alors que Warren implante sa propre petite mafia au lycée, Maggie convainc les agents du FBI de la laisser utiliser leur matériel de surveillance pour connaître la vie privée de ses voisins. Si, dans les mémoires qu’il a entrepris d’écrire, Giovanni déplore l’image stéréotypée entretenue de l’univers des mafieux, notons que Benacquista se livre lui-même au façonnement à la fois méthodique et ludique d’une certaine italianité, la littérature ne se concevant pas chez lui sans une bonne polenta, une pasta à l’ail ou une barquette de poivrons baignant dans l’huile d’olive. Ce faisant, le romancier dupe et séduit son lecteur, en fin observateur qu’il est de ses personnages de voisins tour à tour normaux et étranges.
Malavita
de Tonino Benacquista
Éd. Gallimard
2004, 314 p.