Lectures des lieux : Lieux dits
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Lectures des lieux : Lieux dits

Dans son plus récent livre, PIERRE NEPVEU porte une fervente attention aux lieux décrits par de grandes œuvres  littéraires.

"Il y a toujours eu en moi un géographe et un géomètre. Je crois que ce sont ces deux sciences qui m’ont conduit à la littérature." Ses précédents ouvrages ayant amorcé la réflexion, qui mieux que Pierre Nepveu pouvait se lancer dans une étude sur les lieux de la littérature québécoise et étrangère? Avec Intérieurs du Nouveau Monde, recueil d’essais consacrés aux littératures du Québec et des Amériques, Nepveu reconsidérait le concept passablement galvaudé d’américanité, qu’il associait à une subjectivité fragile et repliée sur son univers intime. Sa propre œuvre poétique, habitée par le double motif du mouvement et de l’enracinement, compte des publications aux titres éloquents, à l’image des tracés reliant les différents lieux: Voies rapides, Romans-fleuves, Lignes aériennes. Quant à son roman L’Hiver de Mira Christophe, il a pour cadre la ville de Vancouver, sorte de double de Montréal où l’écrivain a vécu et qui représente pour lui la "possibilité d’une écriture nomade", d’un exotisme devenu familier.

Lecture des lieux s’ouvre sur un essai consacré à un lieu encore plus familier, Mirabel, vaste territoire agricole dévasté dans les années 60 pour faire place à une espèce d’"aérolithe tombé de l’espace", l’aérogare aujourd’hui quasi désertée, mais conçue à l’époque pour devenir la "porte des Amériques". Nepveu voit dans ce lieu, où plongent par ailleurs ses racines familiales, un espace signifiant "qui dit quelque chose sur notre américanité". Traitant de nouveau de la question développée dans Lignes aériennes, magnifique hymne aux gens touchés par la construction de l’aéroport, il croit qu’une des fonctions de la littérature est "de faire face à ce non-sens, et de sauver ce monde proche, qui est aussi une mémoire proche, de l’effacement et de l’oubli".

Admettant s’inscrire dans une période "urbanocentrique" de l’histoire de la subjectivité, l’auteur consacre une part importante de sa réflexion à l’espace urbain, et plus spécialement à Montréal, son lieu de naissance et de résidence. Vécue de l’intérieur et débordant apparemment de réalité, la ville moderne (et américaine) nous "file entre les doigts", devient un espace de mystification répondant à une certaine image préétablie. Ainsi, à l’instar du poète William Carlos Williams, Nepveu voit dans la destruction de la capitale aztèque de Tenochtitlán un sacrifice originel qui devait permettre la naissance de la ville américaine telle que l’envisageaient les colonisateurs européens.

Le motif du paysage constitue le second axe de Lectures des lieux. Comparant le corpus des poètes de la Révolution tranquille avec celui des écrivains québécois contemporains où la nature est présente, Nepveu remarque que l’œuvre des premiers est empreinte d’"une énergie qui traverse les formes, qui brise toute position spatiale", tandis que celle des seconds se démarque par une école du regard, du cadrage, par une poétique du paysage qui "replace la nature à distance". Il y voit entre autres le signe de la passion pour le paysage à une époque où l’architecture ne se conçoit plus sans une vision intégrée de l’environnement et des activités humaines.

Sensible, érudit et toujours pertinent, le travail de Pierre Nepveu puise à de multiples sources, de Gustave Flaubert à Émile Zola, de Peter Handke à Alberto Manguel, sans oublier Anne Hébert, Élise Turcotte et Pierre Morency. Omniprésent dans le livre, Jacques Ferron incarne quant à lui cet immuable "écrivain de la frontière, écrivain du faubourg ou de la banlieue nouvelle comme dernière frontière". Rappelant ainsi lui-même qu’il a consacré sa vie à la littérature québécoise, Nepveu a le don de nous la faire découvrir sous un autre jour, appelant de nouvelles et passionnantes relectures des lieux.

Lectures des lieux
de Pierre Nepveu
Éd. du Boréal
2004, 272 p.

Lectures des lieux
Lectures des lieux
Pierre Nepveu