Patrick Senécal : Point de fuite
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Patrick Senécal : Point de fuite

Patrick Senécal a plus d’un tour dans son sac, comme le démontre Oniria, son captivant nouveau thriller fantastique. Visite au pays des songes… et surtout des  cauchemars.

L’auteur de Drummondville n’a plus besoin de présentation, surtout depuis l’adaptation réussie de Sur le seuil par le réalisateur Éric Tessier. Si la carrière de Patrick Senécal était en pleine ascension quand est survenu cet heureux coup du sort, disons qu’elle a par la suite fait un gigantesque bon en avant, d’autant plus que la sortie au cinéma de Sur le seuil a été suivie en 2002 par la parution des Sept Jours du talion, roman ténébreux et intense sur la vengeance.

Après ce succès d’estime et populaire, la pression de poursuivre l’aventure littéraire avec autant d’habileté était donc grande, même si l’auteur n’aime pas parler de pression parce que ça fait prétentieux. Cela dit, qu’il soit tranquille. Le Patrick Senécal rencontré pour la première fois en 1998 après la sortie de Sur le seuil ne s’est pas laissé attendrir par la popularité. Il est au contraire demeuré le même, fidèle à ses convictions et à sa passion pour l’écriture de romans divertissants. D’ailleurs, d’après lui, le succès doit changer le moins de choses possible: "Mis à part le fait que j’ai maintenant la chance de faire ce que j’aime le plus au monde presque à temps plein, il ne faudra jamais que ça change la raison pour laquelle j’écris, c’est-à-dire raconter des histoires à mes chums qui aiment ça", estime celui qui ne donne plus qu’un seul cours au Cégep de Drummondville. N’en reste pas moins que la pression était bel et bien présente quand il a eu l’idée d’Oniria: "Cette pression venait du fait qu’après Les Sept Jours du talion, les gens ne s’attendaient pas à ce que j’écrive un roman comme Oniria. J’ai même considéré l’idée d’écrire un livre plus sérieux pour ne pas les décevoir. Puis j’ai réalisé que j’étais en train de tomber dans un piège. Je n’ai à répondre à aucune attente, sinon celle de faire une bonne histoire", affirme Senécal.

DESCENTE EN ENFER
Justement, la structure d’Oniria est peut-être simple, mais le récit, qui raconte l’évasion de prison de quatre détenus, est d’une redoutable efficacité. Selon l’auteur, celles et ceux qui ont aimé Aliss se retrouveront en terrain connu dans cette fable sanglante et fantastique où tous les excès sont possibles.

Contrairement à ses précédents romans, nés de flashs lui ayant traversé l’esprit (l’auteur a, par exemple, eu l’idée d’écrire Le Passager en voyant quelqu’un faire du pouce sur l’autoroute 20), Oniria a vu le jour dans des circonstances plus strictes. "C’est la première fois que je m’impose une contrainte narrative avant même d’avoir une idée précise. J’avais le goût d’écrire une histoire qui se passe en une nuit, dans une maison, parce que je venais de voir deux films pas très bons (13 Fantômes et La Maison de la colline hantée) mais qui avaient du potentiel. J’avais donc envie de faire quelque chose de bien avec cet archétype", explique l’auteur, qui a aussi l’habitude de faire alterner ses romans plus ambitieux (Les Sept Jours du talion) avec des histoires plus légères (Le Passager). Ainsi, à la suite de leur évasion, les quatre détenus pourchassés par la police se réfugient dans une maison avec l’intention d’y passer la nuit pour ensuite s’enfuir vers les États-Unis. Mais leur plan se transforme en horrible cauchemar. Impossible d’en dire davantage sans éventer le suspense issu de l’imagination épouvantablement fertile de Senécal.

Soit dit en passant, l’auteur avoue qu’il est parfois lui-même étonné par ses descriptions croustillantes. "J’essaie toujours d’être original. Cela dit, il ne faut pas que ce soit juste un catalogue. Je veux que le lecteur soit pris par l’histoire avant d’être captivé par les détails sanglants. Tout est très calculé, je fais de la manipulation", rappelle Senécal.

Conséquence de son succès et de sa collaboration avec Éric Tessier, il a écrit l’un des huit épisodes de Chambre no 13, qu’on verra en 2005 à la SRC. Il planche aussi sur la scénarisation de ses romans 5150, rue des Ormes (réalisé par Éric Tessier et produit par Cirrus) et Les Sept Jours du talion (coscénarisé avec un réalisateur dont il ne peut dévoiler l’identité et produit par Go Films), en plus de travailler sur son prochain livre, plus sombre et ambitieux qu’Oniria. "Il y sera entre autres question d’une émission de télé-réalité dans laquelle les participants courent le risque de mourir. Ce n’est toutefois qu’un aspect de l’histoire, tellement déprimante que pour l’instant son titre de travail est Le Vide", conclut l’auteur en précisant que son septième roman devrait paraître au printemps 2006.w

Oniria
de Patrick Senécal
Éd. Alire
2004, 320 p.

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Patrick Senécal est le premier à le dire: sa seule prétention en écrivant Oniria, c’était d’abord de se faire plaisir, puis, par la bande, de nous faire plaisir à nous, lecteurs captifs et consentants de sa verve sanguinolente. L’intrigue de ce roman qui se déroule en une nuit se déploie d’ailleurs tambour battant dans une atmosphère à la fois lugubre et tragicomique. Car il faut le préciser, si l’auteur maîtrise avec un terrible aplomb l’art de massacrer ses personnages, l’ombre de son humour caustique plane toujours au-dessus des descriptions, rendant l’horreur contenue dans ses rocambolesques histoires un peu plus supportable. L’autre force de l’auteur se situe dans son style d’écriture, simple et économe. Dès les premières pages, on plonge subtilement dans son univers et avant même de s’en rendre compte, on tourne la dernière page. Décidément un autre roman réussi de la part de notre maître du fantastique. (C. Fortier)