Philip Roth : La belle et la bête
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Philip Roth : La belle et la bête

Philip Roth s’intéresse dans La Bête qui meurt à l’ultime flambée de désir qu’éprouve un vieux professeur pour une jeune  femme.

Philip Roth

est un écrivain à deux faces. Il y a l’observateur à la fois profond et amusé qui, dans Patrimoine et dans Goodbye, Columbus, se penchait sur le monde juif et sur ses rapports troubles avec la société américaine. Et il y a l’écrivain sulfureux (certains diront libidineux), celui de Portnoy et son complexe (best-seller vendu à plus de cinq millions de copies), fasciné par la sexualité de personnages à la libido exacerbée qui résistent à l’époque contemporaine en se repliant sur leur nostalgie des années 60 et 70. La Bête qui meurt est sans contredit l’œuvre du deuxième Roth, avec, en prime, la déchéance des corps et l’approche de la mort.

À 62 ans, le professeur David Kepesh, héros récurrent de l’écrivain, est toujours une bête sexuelle, le succès de ses chroniques littéraires à la télévision attirant dans son lit les étudiantes du séminaire de critique appliquée qu’il dirige à l’université. Consuela Castillo, jeune et riche expatriée cubaine au prodigieux décolleté, sera la dernière de ses conquêtes. L’ayant invitée chez lui lors de la traditionnelle fête de fin de semestre qui lui sert à recruter des maîtresses, il parvient à la séduire avec ses dons de pianiste classique, en l’initiant à Vélasquez et en lui laissant toucher un manuscrit de Kafka qu’il a reçu en cadeau.

Uniquement préoccupé par la relation sexuelle qui s’ensuivra, le narrateur Kepesh ne cache pas au lecteur son désintérêt envers ces manœuvres d’approche, tout en jugeant sa culture plus utile que son physique pour éblouir une jeune fille de 24 ans. Sa liaison avec Consuela durera un an et demi, une liaison transgressive aux yeux de Kepesh non pas tant à cause de la différence d’âge et du plaisir nouveau qu’il éprouve à lécher le sang menstruel de sa maîtresse, mais parce qu’étant allé jusqu’à se mettre à genoux devant elle, il craint de se départir de cette "distance esthétique" dont il s’était fait une règle dans ses relations intimes. Pour une des rares fois de sa vie, la jalousie s’emparera du professeur, qui ne peut supporter l’idée d’être supplanté par un amant plus jeune. Par le même type d’homme, en fait, que celui qu’il était autrefois et qui aurait éprouvé de la fierté à voler la femme d’un autre…

La Bête qui meurt ne serait-elle qu’une transition entre deux chefs-d’œuvre du grand écrivain? Avec son personnage cynique en fin de parcours et ses passages pédagogiques consacrés à la libération sexuelle des années 60, qui nous font sortir de l’univers romanesque, le livre aurait pu se révéler insupportable, n’eût été une dernière partie qui parvient partiellement à sauver la donne. Sept ans plus tard, un Kepesh retraité de 70 ans reçoit la visite de Consuela, qui est atteinte d’un cancer du sein, le cauchemar féminin s’incarnant dans cette même poitrine qui avait jadis ensorcelé le professeur. Avec l’apparition de la mort, qui frappe à la mauvaise porte, s’opérera un curieux renversement chez celui qui tentait de nier sa vieillesse et de conjurer sa propre fin, une prise de conscience de l’autre qui laisse présager une évolution du personnage fétiche de Roth. Mieux vaut tard que jamais.

La Bête qui meurt
de Philip Roth
Éd. Gallimard
2004, 136 p.