Fernand Durepos, Thierry Dimanche : Le cour a ses raisons
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Fernand Durepos, Thierry Dimanche : Le cour a ses raisons

Fernand Durepos et Thierry Dimanche ne font pas exception: il y a autant de diversité en poésie que de poètes à Trois-Rivières en ce moment.

Le poème est organique; on ne peut le dire d’amour ou de révolte sans le déformer. Mais on peut affirmer sans trop s’éloigner que chacun possède un moteur d’écriture distinct. Penchons-nous sur les poèmes de Fernand Durepos et de Thierry Dimanche, publiés aux Éditions de l’Hexagone.

POÈMES DE TÊTE

Ce qui est intéressant avec le troisième recueil de Thierry Dimanche (né en 1972), c’est qu’il nous invite dans l’atelier du poète. Dans ce livre, intitulé À ceux qui sont dans la tribulation, on voit les tables d’opérations, les tableaux de calculs, les outils de précision, les carnets de recherches, les photos des expéditions et des introspections et, bien accrochés sur le mur, les objectifs. Bref, Thierry Dimanche affiche clairement les étapes et les états de son exploration formelle.

Si les différentes suites poétiques ne sont pas de la même teneur, ou plutôt, si elles n’ont pas atteint le même degré d’aboutissement, on se console en se disant que non seulement l’auteur en est conscient, mais aussi qu’on a affaire à quelqu’un qui cherche et qui risque. Et qui trébuche aussi (heureusement d’ailleurs). Cette méthode d’essais et erreurs présente le poète dans sa position d’aventurier. Toute prétention revêt donc le masque de l’humilité, car on sent plutôt une démarche. On sent aussi que la tentation devient tentative, que l’envie quitte les irritants de la convoitise pour n’être que pulsion animale.

De l’intellectualisme, on sent, encore là, davantage le plaisir et le besoin de la conception que l’affirmation de la prééminence de l’intelligence sur les raisons du cœur ou sur le volontarisme. Mais pas de doute, ce recueil est très cérébral.

Thierry Dimanche jette ses bases de réflexion, qu’il annonce dès la quatrième de couverture par ces mots: "Il est des jours où la littérature semble délibérément en retard sur les avancées spectaculaires de la science, du ski de fond et de l’occultisme…" Le poème est assurément, pour ce jeune auteur, un lieu de réflexions et de recherches, et une pièce esthétique. Si je cherche toujours "l’avancée spectaculaire" dans le domaine du ski de fond, Dimanche illustre très bien en revanche le mouvement créé par ce sport ainsi que le rapport entre la matière synthétique (la science) et la nature: "L’intellection et le ski / MÊME COMBAT / sur la neige / où sommeille / le fond – doucement conflictuel – des choses."

Du titre, nous retiendrons tous les sens prêtés au mot tribulation: le tourment moral comme l’épreuve, comme l’ennui. Ce premier volet de Mes encycliques désaxées réussit à combiner poésie et intellection, précision de la langue et exploration chaotique.

À ceux qui sont dans la tribulation
de Thierry Dimanche
Éd. de l’Hexagone
2004, 141 p.

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POÈMES DE COUR

"À cette heure le long de la jetée / j’ai pensé réveiller Jésus pour lui dire / que marcher sur l’eau n’était pas se mouvoir / sur une piste de danse comme les autres" (titre du poème de la page 18). Avec son sixième recueil, Mourir m’arrive, Fernand Durepos (né en 1962) poursuit son travail dans la même direction que toujours. La grande différence réside dans l’épuration quasi systématique des mots ou des expressions appartenant au lexique du rocker ou du poète urbain. Il a mis de côté les artifices du genre, considérés par certains comme clichés ou clinquants. Il reste de cet exercice le travail bien fait et le cœur de la poésie de Durepos.

Cette poésie est issue du monde de l’enfance. On y retrouve les besoins primaires, la tendresse, la recherche d’amour et la naïveté nécessaire pour avancer. Beaucoup de fascination également, de cette fascination qui incite à la mythification, à l’idéalisation et à l’imitation qui, par la bande, pousse à grandir, à évoluer. Si la fascination est un moteur d’écriture chez Durepos, elle est aussi une étape vers l’expérimentation qui mène à la maturité.

Trois sections, Les Grands Espaces, Hostellerie des Turbulences et La Navigation du sang comme pure pratique du silence, composent ce livre qui ralliera de nouveaux lecteurs sans renier les fidèles du poète. Comme peut l’annoncer le titre, le livre voyage dans la démesure et les extrêmes, mais c’est un livre lumineux, contrairement à ce que le titre peut laisser présager. Une certaine sagesse s’en dégage, qui offre la beauté à même les sols rugueux, sans surligner la difficulté d’être.

Mourir m’arrive
de Fernand Durepos
Éd. de l’Hexagone
2004, 65 p.