Jean-Paul Dubois : Évolution française
Le journaliste Jean-Paul Dubois reprend la plume après cinq années de silence en fiction. L’attente valait le coup.
Certains aiment le journaliste du Nouvel Observateur, d’autres, le romancier. Quelques-uns, dont moi, apprécient les deux. Mais avec Une vie française, son dernier roman, pas de doute que Jean-Paul Dubois ralliera tous ses lecteurs, et bien au-delà. Avec ce livre, nous suivons la petite histoire d’un anti-héros avec, en toile de fond, 50 ans de vie française et tous les chassés-croisés internationaux que cela suppose.
Paul Blick n’a pas 10 ans lorsqu’il perd son grand frère, à peine plus âgé que lui. Il se retrouve donc très jeune au milieu d’une famille désabusée. Sa mère, une correctrice qui ne parle guère de son métier, et son père, un concessionnaire de Simca (compagnie française dérivée de Fiat: ça jase beaucoup de voitures chez Dubois) qui connaîtra trop jeune la maladie, forment un couple aux antipodes des intérêts du jeune Toulousain. Lui, il est résolument à gauche, il étudie en sociologie et il joue des claviers dans un groupe obscur. Il se drogue un peu, il baise beaucoup, et après un bref passage dans l’armée, il occupe différents métiers comme celui de surveillant scolaire, et il devient journaliste sportif avant de se passionner pour les arbres.
Depuis Si ce livre pouvait me rapprocher de toi (1999), les lecteurs de Dubois-romancier ne savaient plus quoi penser. Celui qui publie des romans depuis 1984 nous avait surtout habitués à un laconisme efficace, à un humour grinçant, à des personnages rangés, mais pour qui ce rangement dérange, à des impulsifs, à des francs-tireurs, à des emmerdeurs qui s’emmerdent. Certes, il y avait un peu de tout ça dans le roman, mais le ton n’avait pas le traditionnel mordant de Dubois. Ce qui est tout à l’honneur de l’auteur, car cela veut dire qu’il ne craint pas de s’aventurer ailleurs, sur des territoires risqués pour un écrivain de ce genre. Le livre, de qualité, qui rappelait étonnamment l’univers de Robert Lalonde, a peut-être perdu quelques amateurs, mais il a réussi à ouvrir une brèche dans l’écriture de Dubois dont le présent ouvrage témoigne: le souffle.
Une vie française, en lice pour le prix Femina, est un roman qui regroupe les principales qualités de Dubois. Outre l’éventail d’insultes inédites, l’humour caustique, le sens de la formule lapidaire de même que la capacité à poser un regard tendre, doublé de ce nouveau souffle pour dire tout ça, on a droit à une fine observation du genre humain qui se traduit tant par le rapport d’anecdotes intimistes que par sa sélection des faits historiques. En d’autres mots, si le journaliste Pierre Foglia écrivait un roman, je crois bien que ça pourrait ressembler à ça. En traversant les années du général de Gaulle, de Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac, Dubois dépeint la famille française à la fois de l’intérieur et à la manière d’un anthropologue étranger. Comme Nord-Américain, on ne se sent jamais exclu par cette construction romanesque. Au contraire, on apprend beaucoup et on comprend mieux la réalité et le parcours des enfants de la Ve République.
Une vie française
de Jean-Paul Dubois
Éd. de l’Olivier
2004, 357 p.