Micheline Lachance : Histoire de cour
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Micheline Lachance : Histoire de cour

Micheline Lachance s’intéresse avec Lady Cartier au malheureux destin de l’épouse d’un père de la Confédération.

Bien qu’elle ait signé les biographies du frère André et du cardinal Léger, c’est en pratiquant la forme plus libre du roman historique que Micheline Lachance a connu le succès de librairie que l’on sait. Son Roman de Julie Papineau, qui racontait en deux volumes la vie de la femme du chef des Patriotes, est devenu un best-seller dont chaque bonne famille québécoise possède un exemplaire. Non seulement retrouve-t-on dans Lady Cartier l’habileté narrative, les dialogues crédibles et le souci de rigueur historique qui caractérisaient cet ouvrage, mais on se réjouit de reprendre le récit là où l’avait laissé la romancière. Les tragiques événements entourant la rébellion de 1837 y laissent en effet la place aux tractations de la génération suivante, qui donneront naissance à la Confédération canadienne.

Lady Cartier, dont l’action débute en 1853, apparaît avant tout comme l’histoire d’un lamentable échec matrimonial. Dès le début du roman, Hortense Fabre découvre la liaison de son mari George-Étienne Cartier avec sa cousine Luce Cuvillier, liaison que Cartier entretiendra jusque sur son lit de mort. À ces déboires conjugaux viennent se mêler les différends politiques qui déchirent également le couple. Née dans une famille libérale (son père a été maire de Montréal et son frère est le journaliste Hector Fabre), Hortense n’a jamais toléré que George-Étienne tourne le dos aux Patriotes pour devenir député conservateur, ministre puis premier ministre du Canada-Uni et artisan de ce projet de Confédération qui menace les droits des Canadiens français. Et davantage que ses courbettes devant la reine Victoria (qui l’anoblira) et sa manie de s’adresser en anglais à ses domestiques francophones, ce sont les magouilles électorales et le patronage de son mari qui révoltent le plus Hortense.

Si l’époque décrite de façon convaincante par Micheline Lachance et le personnage controversé de George-Étienne Cartier captent l’attention, on s’interrogera sur la pertinence de les envisager du point de vue dominant d’Hortense Fabre, d’autant plus que, déchirée du début à la fin par sa jalousie et n’aspirant qu’à la vengeance, elle fait souvent piètre figure en face de sa rivale. Que Luce Cuvillier ait été ou non réellement la maîtresse de "Sir George", le portrait qu’en trace l’auteure est bien plus piquant. Élégante fille de banquier dont l’indépendance financière lui permet d’assumer un scandaleux célibat, elle apparaît comme une femme d’esprit, une féministe avant la lettre, qui fait fi des préjugés avec ses cigares et ses vêtements masculins manière George Sand. Paradoxalement, la Cuvillier est aussi le type même de la "femme derrière le grand homme": c’est elle qui hérite de la meilleure part de Cartier, recevant ses confidences et lui servant de conseillère pendant qu’Hortense, essentiellement en réaction contre son mari, vit recluse avec ses enfants et son piano, manifestant son dédain de la politique. Un choix d’héroïne qui fait constamment vaciller l’intérêt du roman, pourtant bien documenté, entre l’intime et le politique.

Lady Cartier
de Micheline Lachance
Éd. Québec Amérique
2004, 542 p.