Francine D'Amour : Faux départ
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Francine D’Amour : Faux départ

Francine D’Amour nous revient avec un roman mature et ludique, Le Retour d’Afrique, librement inspiré d’un film d’Alain Tanner.

Charlotte et Julien forment un couple de longue date, souvent déchiré, mais que revigorent de régulières escapades à l’étranger. Deux semaines avant leur départ pour un périple africain de huit mois qui devait couronner leur "carrière" de voyageurs, Charlotte déchire son billet d’avion pour Le Caire, en proie à une de ces trop nombreuses soûleries nocturnes où elle perd la carte et où fusent reproches et injures. Partageant la culpabilité de Charlotte et optant pour une séparation temporaire, le couple décide que Julien partira seul, mais que ni la famille ni les amis ne seront mis au courant. Une idée qui leur vient d’un film visionné autrefois, Le Retour d’Afrique d’Alain Tanner, dans lequel un homme et une femme s’enferment dans leur demeure après avoir annoncé leur départ à l’entourage. L’appartement étant loué à un professeur égyptien invité par une université montréalaise, c’est dans une maison trouvée par Julien sur le bord d’une rivière que Charlotte passera le temps, seule, face à elle-même.

Tout semble séparer Le Retour d’Afrique de Francine D’Amour de son avant-dernier livre, Presque rien, magnifique roman-valse qui mettait en scène la faune urbaine orbitant autour de l’avenue du Parc durant une chaude journée de septembre. À cette fresque polyphonique soutenue par une unité de temps et de lieu succède en effet une déconcertante monodie vouée à une errance intérieure, à un parcours onirique étalé dans le temps, sous le signe constant de la distance créée entre les amants par le geste fatal de Charlotte et par le voyage de Julien: "Ce si long voyage que tu es en train de faire sans moi. À cause de la honte. De cette honte que j’avais de moi. De cette honte que tu avais de moi. Car tu avais honte, je le sais. Honte de ta Charlotte. De ses cris. De ses larmes. Des brûlures de cigarettes sur les divans et les tapis. Des verres renversés. Des grasses matinées qui s’étendaient jusqu’à l’heure de l’apéro."

Après une fête célébrant leur faux départ en compagnie de leurs amis, Julien s’envole donc seul, postant d’Égypte, de Syrie et de Jordanie des cartes qu’il signe de leurs deux noms. Mais tandis qu’elle devait s’en tenir à son exil banlieusard, Charlotte ne peut s’empêcher de revenir dans cette ville où elle est "interdite de séjour", pénétrant comme une voleuse dans son appartement en l’absence du locataire, cherchant dans les boutiques ce film de Tanner dont elle n’arrive plus à se souvenir s’il se termine bien ou mal alors qu’elle en joue le "remake puéril". De ces pérégrinations montréalaises naît un véritable suspense communiqué au lecteur par celle qui veut éviter d’être reconnue par son ancien monde, mais qui accumule les gaffes, avant de retourner s’enfermer dans l’existence que lui a organisée Julien, lequel continue de la protéger à distance.

À la détresse des personnages de Francine D’Amour correspond une narration ludique, celle de Charlotte qui observe ses mésaventures avec autodérision, s’étonnant à peine des nombreuses coïncidences qui la ramènent sans cesse à la culture nord-africaine: de l’épicerie arabe où elle aboutit durant une de ses virées aux magazines Géo trouvés dans la maison qu’elle habite, en passant par les Camel que l’on fume devant elle et par le laurier-rose marocain que lui offre son nouveau voisin. Avec l’ombre de la mort qui plane au-dessus de son récit, Charlotte apparaît comme une Schéhérazade des temps modernes, la mise au rancart de son identité rappelant également Hatchepsout, cette reine d’Égypte dont le successeur a entrepris d’effacer toute trace d’existence et dont le roman nous rappelle la mémoire. Intéressé par ces multiples liens qui structurent le texte, le lecteur n’a pas le temps de voir venir le drame par lequel se termine le livre, abusé comme les amis de Charlotte et Julien par la mise en scène d’un faux départ…

Le Retour d’Afrique
de Francine D’Amour
Éd. du Boréal
2004, 228 p.