François de Closets : Atomes crochus
François de Closets nous offre, après 16 essais et des années de journalisme scientifique en France, un récit biographique sur Einstein. Rencontre.
Dans les années 20, le scientifique Albert Einstein est considéré comme l’homme le plus intelligent de la planète. Charismatique et séducteur, sa célébrité l’entraîne parfois sur des chemins chaotiques; marginal, il mène ses recherches en solitaire alors que la science se développe collectivement. Et si l’un des principes de base de la recherche est de consulter les travaux des autres avant de s’enfoncer aveuglément, Einstein, lui, va jusqu’à nier la nouvelle physique qui a pourtant fait ses preuves. "Dieu ne joue pas aux dés", a-t-il dit, et Niels Bohr de lui répondre: "Qui êtes-vous, Einstein, pour dire à Dieu ce qu’il doit faire?"
"Einstein a commis des erreurs, nous dit François de Closets, mais c’était ses erreurs, il ne reproduisait pas les erreurs des autres comme l’ont fait malheureusement plusieurs intellectuels tels que Sartre, par exemple. Aussi, il a raté sa vie personnelle, il a raté les femmes…"
Né à Ulm, en Allemagne, en 1879, Einstein publie déjà des découvertes sur la relativité restreinte en 1905 et des articles sur la relativité généralisée en 1916. Le commun des mortels n’y comprend rien, mais le scientifique attire l’attention des différentes élites internationales car les cinq mémoires qu’il rendra publics sont tous d’une importance marquante dans différents champs de la physique. D’ailleurs, s’il reçoit le Nobel en 1921, ce n’est pas pour ses études sur la relativité, mais bien pour son travail sur le concept du photon et sur la mécanique ondulatoire. Mais c’est avec ses découvertes sur la relativité qu’il bouleverse non seulement la science, mais le monde entier par sa manière d’envisager l’univers. Là, le public général devient sensible à ses théories sur les systèmes accélérés et la gravitation.
RECHERCHE SPIRITUELLE
Avec Ne dites pas à Dieu ce qu’il doit faire, qui vient tout juste de paraître aux Éditions du Seuil, l’essayiste François de Closets, qui a contribué à plusieurs formes de journalisme depuis 1961 et qui est spécialisé en information scientifique, se penche avec sérieux sur le scientifique Albert Einstein, mais aussi sur l’homme, qu’il affectionne autant pour ses travers qui le rendent humain que pour sa grande contribution à l’évolution du 20e siècle. De Closets a choisi le pan de la vie du personnage qui lui plaisait le plus afin d’en faire un récit autobiographique plutôt qu’une biographie exhaustive.
Le livre débute dans les années 30 aux États-Unis, où Einstein immigra définitivement en 1933 après avoir fui la montée du nazisme. Pour lui qui était juif, la perspective d’aller enseigner et de diriger des recherches à l’Université de Princeton était davantage une question de survie qu’une occasion professionnelle. Effrayé par l’idée que l’Allemagne nazie puisse maîtriser l’énergie nucléaire suffisamment pour construire une bombe atomique, Einstein écrit, en 1939, cette fameuse lettre au président Roosevelt l’informant des affreuses possibilités. Il faut dire qu’à l’époque, vu l’ignorance des récentes découvertes, on craignait plus la guerre chimique qu’autre chose. C’est ainsi que les Américains fabriquèrent cette première bombe nucléaire (on disait alors "atomique") et qu’Einstein, terrorisé par les effets catastrophiques de ses découvertes, passa une grande partie du reste de sa vie (il est décédé en 1955) à dénoncer l’utilisation militaire de l’énergie nucléaire.
Le livre, qui se lit comme un roman, nous présente donc un personnage attachant se débattant avec ses responsabilités d’homme public dans un monde en ébullition. Un homme qui vit également une certaine spiritualité malgré son statut de scientifique. "Les religions révélées (christianisme, judaïsme, etc.) qui permettent à Dieu d’intervenir dans l’histoire humaine sont incompatibles avec la science, soutient François de Closets. Même si plusieurs croient totalement, par exemple, au judaïsme traditionnel tout en étant de grands physiciens modernes, moi j’y vois un phénomène incohérent. Par contre, l’autre perception du phénomène religieux, celle d’Einstein ou de Spinoza, est de dire qu’il y a un ordre de la nature qui nous transforme. On ne sait pas à quoi il correspond, il n’y a pas de relation entre le phénomène humain et lui, ce n’est pas un Dieu consolateur. Mais avec ce regard, la science devient de la théologie, la physique devient une métaphysique. Et le rôle de l’homme, avec son intelligence, devient l’exploration du Dieu caché de l’ordre de l’univers. Là, et c’était la conception d’Einstein, il y a un accord entre les démarches scientifique et spirituelle."
Ne dites pas à Dieu ce qu’il doit faire
de François de Closets
Éd. du Seuil
2004, 444 p.