Antonio D'Alfonso : Deux solitudes
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Antonio D’Alfonso : Deux solitudes

Antonio D’Alfonso a publié plusieurs recueils de poésie et Avril ou l’anti-passion, un roman sur l’arrivée de ses parents à Montréal. Quinze ans plus tard, il revient à la prose. Et à  Montréal.

Antonio D’Alfonso est à la tête des Éditions Guernica, à Toronto. Peut-être est-ce grâce à cet éloignement du Québec que D’Alfonso parle si bien de la métropole provinciale? Son roman, Un vendredi du mois d’août, publié chez Leméac, fait la navette entre Montréal et Toronto, et il arrive à tirer une essence particulière des deux villes. Une saveur sans réelle amertume, à mi-chemin entre l’extase et la mélancolie.

Fabrizio Notte est un réalisateur de documentaires torontois qui est invité à présenter son dernier film dans sa ville natale, Montréal. Le cinéaste, qui préfère les essais et les récits autobiographiques aux romans, est aussi plus enclin aux documentaires. Mais de passage à Montréal pour promouvoir, même défendre, un film de fiction, il se trouve confronté à quelques fantômes issus d’un passé bien réel. Qu’a-t-il fui, plusieurs années plus tôt, en partant pour Toronto? Le narrateur, qui arpente la ville, commente à la fois le présent et une époque déterminante pour lui-même, à travers la géographie des lieux et celle de la mémoire, tissée des manques et des épreuves. On entend donc beaucoup de choses en voix off, car le documentariste est bavard et il a une opinion sur tout. Mais le "montage", la structure du roman, dévoile plus encore que le verbiage et le mystère entretenu par le narrateur; c’est là que réside l’intérêt du livre.

Curieusement, il a beau faire un pèlerinage existentiel et amoureux dans la métropole francophone comme il a beau comparer la ville à Toronto à la lumière des grands bouleversements de sa vie, Notte, comme D’Alfonso, semble refuser tout élan nostalgique. On sent même un besoin de heurter la nostalgie au présent, à l’avenir. De ce choc pourrait jaillir la faim. Dans ce roman, il y a davantage une quête de désir qu’une suite d’événements sensuels, et ce, malgré l’écriture sensuelle. Or, le désir ne peut s’abreuver au passé.

En fait, ce qui différencie le plus les deux romans de cet auteur, c’est justement le rapport qu’il entretient avec le désir et la sensualité. De l’étalon en rut mis en scène dans Avril ou l’anti-passion, on passe maintenant, avec le narrateur d’Un vendredi du mois d’août, à un homme plus mature, qui avec l’expérience a fait de la place aux doutes, aux remises en question, à la famille, comme au confort et à une certaine carrière (même s’il la tourne parfois en dérision). Autre point, et celui-ci est peut-être plus fondamental, l’exercice du premier roman tenant en partie dans la recherche et l’explication des origines italiennes de l’auteur, celui du présent ouvrage nous présente plutôt le résultat d’un homme qui a fui ses origines individuelles, ses amantes et amis qui, d’une certaine manière, le constituent. Avant ce voyage, Notte pouvait passer des journées entières en pyjama, seul dans sa tour d’ivoire, à travailler des scénarios. Que lui réserve donc la suite? Quelle ville, quelle solitude choisira-t-il?

Un vendredi du mois d’août
d’Antonio D’Alfonso
Éd. Leméac
2004, 142 p.