Kathy Reichs : Fracture ouverte
Kathy Reichs, non contente de faire partie des 65 anthropologues judiciaires certifiés en Amérique du Nord, écrit des romans à succès. Et inspire des séries télé, apprend-on… Entretien.
Étant donné la popularité des séries médico-légales dans le genre de CSI: Crime Scene Investigation (sans oublier ses deux franchises se déroulant à Miami et New York), Crossing Jordan et Cold Case, on se demande par quel hasard le filon menant à l’anthropologue judiciaire et écrivaine Kathy Reichs n’a pas encore été exploité au cinéma ou à la télévision. Ce sera néanmoins chose faite à l’automne 2005 puisque l’auteure, en visite à Montréal pour faire la promotion de son sixième roman traduit en français, Les Os troubles, vient de signer une entente avec le réseau Fox. "La série ne sera pas inspirée de mes romans, mais de ma vie. Elle racontera les péripéties d’une anthropologue judiciaire qui travaille sur des cas le jour et écrit des romans le soir, tout comme moi. J’agirai en tant que conseillère à l’écriture de la série. Je suis aussi productrice", révèle Kathy Reichs, tout en admettant ne pas trop savoir ce que le rôle de productrice implique. Évidemment, la renommée anthropologue judiciaire, qui partage son temps entre le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de la province de Québec et l’Office of the Chief Medical Examiner de la Caroline du Nord, est très enthousiaste à l’idée de participer à la création d’une nouvelle série télé.
Par contre, qu’on ne s’attende pas à voir un clone de CSI. Même si l’anthropologue judiciaire n’a rien contre les émissions du genre, elle avoue que leur présence a un impact certain sur son travail. En fait, selon Kathy Reichs, l’intérêt grandissant du public pour les enquêtes médico-légales remonte à l’affaire O.J. Simpson, que des millions de téléspectateurs ont suivie avec attention, comme s’il s’agissait d’un feuilleton. "Les gens sont de plus en plus curieux au sujet de mon travail. Ils croient, à tort, qu’on peut résoudre tous les dossiers. Malheureusement, la science ne peut pas encore tout faire. Depuis quelques années, il arrive que des médecins légistes me demandent mon avis sur certains dossiers qu’ils n’ont pas réussi à résoudre! Persuadées que tout est possible comme à la télévision, les familles exigent un second avis", explique Kathy Reichs.
Il va sans dire que l’impossibilité d’identifier une victime ou la cause de son décès demeure la plus grande frustration que l’écrivaine éprouve par rapport à son métier. "C’est frustrant de ne pas pouvoir résoudre tous les cas. Parmi ceux qui sont restés en suspens, il y a par exemple celui du squelette d’un enfant que je n’ai jamais réussi à identifier. Cela fait 15 ans que je conserve ses os dans une boîte. De temps en temps, j’étudie de nouveau les ossements, pour m’assurer que je ne suis pas passée à côté de quelque chose. Il pourrait aussi arriver que l’évolution de la technologie me permette de résoudre un cas resté jusqu’alors sans réponse", précise-t-elle.
LE POUVOIR DES MOTS
Dans la vraie vie, Kathy Reichs ne peut pas clore tous les dossiers. L’héroïne de ses romans, par contre, le peut. Ce n’est donc pas un hasard si l’écriture est devenue un exutoire pour Kathy Reichs. Elle considère même que le métier d’écrivain fait partie de sa vie au même titre que celui d’anthropologue judiciaire. "L’un inspire l’autre", assure-t-elle dans un français encore hésitant, mais qui s’améliore à chaque entrevue. Jusqu’à ce jour, tous les romans de l’auteure étaient inspirés de dossiers sur lesquels elle avait travaillé. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne Les Os troubles. "J’ai eu envie d’écrire ce livre pour conscientiser les gens au problème du braconnage des animaux. Peu de gens savent que les ours sont menacés d’extinction à cause du trafic de vésicules biliaires vers l’Asie. Les Asiatiques fabriquent toutes sortes de produits – du shampoing, du vin, des médicaments – à partir de la vésicule biliaire des ours parce qu’ils croient qu’elle possède des propriétés thérapeutiques", affirme l’auteure. Or, comme Temperance Brennan le démontre dans Les Os troubles, il s’agit plutôt d’une croyance populaire non vérifiable.
L’enquête découlant de la découverte des ossements d’animaux représente cependant une seule des trois intrigues qui font du sixième thriller médical de Kathy Reichs le plus élaboré de ses livres. À cela s’ajoute la découverte des restes calcinés d’un bébé naissant et l’écrasement d’un petit avion qui soulève beaucoup de questions. Alors qu’elle se préparait à partir en vacances avec le détective Andrew Ryan, les squelettes s’empilent sur la table de travail de Tempe, tandis qu’un internaute anonyme lui envoie des photos qui lui glacent le sang.
Kathy Reichs sera présente au stand des Éditions Robert Laffont, dans le cadre du Salon du livre de Montréal, le jeudi 18 novembre de 19 h à 20 h et le vendredi 19 novembre de 19 h 30 à 20 h 30.
Les Os troubles
de Kathy Reichs
Éd. Robert Laffont
2004, 368 p.
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Depuis Secrets d’outre-tombe, paru en 2003 chez Robert Laffont, on découvre dans l’écriture de Kathy Reichs des profondeurs insoupçonnées jusqu’alors. D’un côté, on perçoit dès les premières pages que les intrigues à la base de ses romans lui tiennent vraiment à cœur, mais surtout, on a l’impression que l’auteure laisse davantage de place aux émotions. Temperance Brennan n’est plus seulement un robot qui analyse des squelettes et met sa vie en danger pour trouver les meurtriers. C’est une anthropologue judiciaire qui met son savoir au service des morts pour aider les vivants. C’est aussi une femme capable d’amour (on verra dans son septième roman si Tempe et Andrew sont toujours ensemble) qui s’insurge devant la cruauté des humains. La romancière utilise aussi davantage l’humour pour désamorcer les scènes particulièrement dramatiques. Se faisant, elle donne plus de relief aux détails scientifiques, qui restent au centre de ses histoires. De toute évidence, l’écrivaine maîtrise davantage son sujet. (C.F.)