Andrée A. Michaud : Règne animal
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Andrée A. Michaud : Règne animal

Andrée A. Michaud revient avec un roman remarquable qui bouscule plusieurs conventions. Rencontre avec l’auteure.

"Un jour que je me promenais sur un chemin de terre, un coyote est passé devant moi alors qu’au fond on entendait les corneilles et que la rivière était tout près; là, m’est venue l’idée du roman!" raconte Andrée A. Michaud. "Le soir même, je commençais à griffonner, à prendre des notes, et à essayer de trouver ce qu’il y avait derrière l’image; j’y ai tout de suite trouvé un pendu et une foule d’autres choses…" Le Pendu de Trempes est un roman touffu où les oiseaux parlent et où les empailleurs possèdent de drôles de dons. "Je dévoile des choses dès le début. Faut être attentif!"

La convention de lecture du dernier livre d’Andrée A. Michaud est relativement étrange. En poussant un peu, on pourrait dire qu’il là s’agit d’un Stephen King formaliste! En effet, celle qui a remporté le Prix du Gouverneur général en 2001 avec Le ravissement possède une écriture précise, raffinée et poétique, des plus exigeantes. Avec Le Pendu de Trempes, elle nous invite à pénétrer un univers littéraire qui se situe aux confins du fantastique (à certains égards proche de l’horreur), où l’on suit la quête philosophique (presque mystique) d’un personnage également aux prises avec des problèmes concrets tout à fait contemporains. Ajoutons au tableau une intrigue policière, une flopée d’animaux et leurs symboles, ainsi qu’une réflexion sur le temps.

"Le temps est une obsession pour moi, qui se répète de roman en roman. Aussi, je suis vraiment préoccupée par tout ce qui concerne la mémoire et par la façon qu’on a de déformer tout ce qui concerne le passé. Inévitablement, cette déformation du passé a des conséquences sur notre perception du temps", nous dit l’auteure, qui a aussi joué habilement avec le temps sur le plan narratif. Un peu comme Anne Hébert dans son Kamouraska, elle a mis en place un jeu de narration efficace qui facilite la lecture de ce roman pourtant assez complexe. "Puisque cet homme-là a oublié son passé, il a, en quelque sorte, oublié le temps. C’est presque un lieu commun de dire ça, mais la relativité du temps, ce n’est pas seulement une notion scientifique, c’est aussi une notion concrète qu’on expérimente sans arrêt dans notre vie. Il y a des périodes d’une lenteur incroyable et d’autres où on a l’impression que le temps fuit et que tout nous échappe, et c’est ça, entre autres, que j’essaie d’exprimer à travers ce personnage et son expérience."

Le roman nous emmène dans un petit village où domine la forêt et où la nature profonde, justement, semble déterminée à avoir raison de la folie des hommes. Après un quart de siècle loin de ce coin, Charles Wilson revient et retourne à la clairière mystérieuse où il découvre le cadavre de son ami d’enfance qui se serait suicidé. Là, où il voit des fantômes et où se croisent les gens de son passé, il tentera de parler aux morts et de comprendre quelque chose à tout ce cirque; son ami lui avait dit ne vouloir mourir que le jour où il aurait la preuve de l’existence de Dieu. "Traditionnellement, on range l’âme du côté de la spiritualité et c’est un peu là que je la place aussi (je parle du point de vue de mon personnage, car personnellement, je ne crois pas en l’âme); C’est que le narrateur a une position très ambiguë par rapport à ça. Je pense qu’il ne croit pas en l’âme, mais les expériences qu’il vit créent un doute dans son esprit, il est forcé d’utiliser des concepts qui lui échappent et le concept de l’âme en est un. Aussi, comme il s’interroge sur la foi de son ami qui s’est suicidé, il est obligé, encore là, de se servir de concepts abstraits en soi, mais qui, bien au-delà de leur abstraction, sont pour lui complètement extérieurs à sa façon habituelle de concevoir le monde." Un roman positivement dérangeant où l’on sent que l’auteure s’est dépassée, qu’elle a risqué.

Le Pendu de Trempes
d’Andrée A. Michaud
Éd. Québec Amérique
2004, 232 p.