Guy Lalancette : Cour et basse-cour
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Guy Lalancette : Cour et basse-cour

Guy Lalancette signe Un amour empoulaillé, un troisième roman jamais banal qui emprunte autant à Roméo et Juliette qu’au climat religieux étouffant qui, dans les années 50, baignait Saint-Blaise comme l’ensemble du Québec.

Si on est de son enfance comme d’un pays, pour reprendre la jolie formule de Saint-Exupéry, Guy Lalancette connaît bien le chemin qui mène à la sienne. Ayant déjà publié deux livres convaincants, Il ne faudra pas tuer Madeleine encore une fois (1999) et surtout Les Yeux du père (2001), une splendide incursion dans le deuil tel que vécu par un gamin à l’imagination fertile, il donne aujourd’hui corps à une déchirante histoire d’amour qui tente de s’enraciner dans le sol fragile de l’adolescence.

Celui qui a enseigné l’expression dramatique pendant 25 ans au Cégep de Chibougamau ne se lasse pas d’observer les élans adolescents, leur touchante naïveté. "C’est un bouillon fabuleux, l’adolescence. L’ampleur que prennent les passions à cet âge est démesurée." Simon, le personnage central d’Un amour empoulaillé, incarne parfaitement l’intransigeance et l’emportement des amours de jeunesse. Fou d’Élisabeth Lecroche, qui lui inspire poème sur poème et qui lui dit déjà oui des yeux, il se heurte bientôt à la famille de cette dernière, à son frère en particulier, qui n’entend pas – on comprendra plus tard ses immondes motivations – accorder à qui que ce soit de droits sur sa sœur.

C’est à travers le regard de Jérémie, le frère de Simon, que l’on investit peu à peu ce territoire digne de la tragédie grecque. Jérémie qui va jouer les habiles entremetteurs alors que Simon veut séduire Élisabeth depuis le très strict pensionnat où il se morfond et où on tolère bien mal les projets amoureux.

La suite est faite de rebondissements saisissants, dont on se demande à quel point ils sont tirés de la vraie vie. "Mes écrits sont toujours un mélange de fantasme et de réalité, explique Guy Lalancette. Le poulailler, pour moi, est un espace très inspirant [d’abord bureau secret de Simon puis repaire de Jérémie, le poulailler de la famille va devenir le centre nerveux du drame]. J’ai moi-même habité un certain temps dans un poulailler, mais dans d’autres circonstances!" s’empresse-t-il d’ajouter, la basse-cour de Simon devenant le théâtre de violences inouïes. "Je suis fasciné par ces espaces clos où les drames se nouent, où les tempéraments et les passions se révèlent. C’est souvent dans un certain enfermement que l’essentiel apparaît."

Tout ça tient de l’orfèvrerie, de la trame remise mille fois sur le métier. "Je travaille de façon très rigoureuse, malgré toutes les apparences et tout ce que mes étudiants pourraient dire!" assure l’écrivain qui, passé la mi-cinquantaine, a toujours l’œil tannant et la démarche dégingandée d’un éternel ado. "J’écris de telle heure le matin à telle heure le soir, avec interdiction de sortir et sans récréation. Malgré ça, quand j’ai achevé trois pages en une journée, je suis très content. C’est même rare." Aussi les phrases d’Un amour empoulaillé sont-elles riches, sculptées. "J’ai été très branché sur la poésie, pendant longtemps, celle de Victor Hugo surtout."

Évoluant sur une planète littéraire bien à lui, Louis Lalancette a vu ses manuscrits refusés pendant des lunes. "En sortant de l’université, début 70, après m’y être attardé un peu, je ne m’intéressais à peu près qu’à la littérature, mais je n’avais pas l’audace – audace qu’aurait sans doute eue Simon! – de dire: bon, je vis de l’écriture… Ceci dit, j’ai découvert dans l’enseignement un plaisir que je ne soupçonnais pas, et qui m’aide, je pense, à explorer ce que j’explore aujourd’hui dans l’écriture."

L’auteur n’a jamais cessé de griffonner des histoires, le soir, s’engageant quelques années plus tard dans une maîtrise en création littéraire. Puis la porte s’est ouverte, chez VLB s’il vous plaît. "Est-ce que j’ai changé ma façon d’écrire depuis que mes manuscrits sont publiés? Je me pose franchement la question parfois, mais je ne crois pas. J’ai mûri, j’ai cessé de croire que l’écriture devait être quelque chose de compliqué."

Dire que nous avons failli être privés de tout ça…

Un amour empoulaillé
de Guy Lalancette
VLB éditeur
2004, 246 p.