Rachel Leclerc : Passer à l’est
Avec Visions volées, Rachel Leclerc offre un livre traitant de la fragilité, de la fraternité, de l’errance et des rencontres. En filigrane, une intrigue policière.
Rachel Leclerc
est une écrivaine accomplie qui s’est fait remarquer autant pour ses recueils de poésie (Rabatteurs d’étoiles remporta le prix Alain-Grandbois et Les Vies frontalières, le prix Émile-Nelligan) que pour ses romans (Noces de sable gagna le Grand Prix Henri-Queffélec). Son dernier, Visions volées, finaliste au Grand Prix du livre de Montréal (donné à David Solway), nous entraîne, sous les pas de Franck, de Montréal aux Laurentides, et de Prague à Paris.
"Quand j’ai écrit mon roman, il y a environ deux ans, à une époque où j’en avais un peu marre du Québec et que j’avais moi-même envie de sortir, j’ai décidé de faire sortir mes personnages!" se souvient Rachel Leclerc. "Comme je n’ai pas tellement voyagé et que Prague est une des villes que j’ai aimées, je me suis dit que j’allais y amener mon personnage principal. J’ai hésité à l’idée d’y retourner moi-même, mais finalement, comme je suis un peu comme Anne Hébert, au sens où j’aime mieux créer un monde imaginaire et d’écriture plutôt qu’un monde d’informations et de recherches sur le terrain, je n’ai pas cru bon d’y aller."
Franck a des visions. Rien à voir avec la spiritualité ou avec une quelconque branche ésotérique, non. Franck sait lire dans les pensées des autres comme certains ont le talent de peindre. Il s’agit d’un simple don. Un don, d’ailleurs, duquel il aimerait bien se débarrasser. C’est qu’il voit le passé s’accumuler en lui comme un excès de mémoire. Un excès qui lui confère une indésirable lucidité, quelque chose qui l’empêche de s’abandonner à lui-même, qui l’empêche d’errer sainement, de fuir une réalité suffocante pour vivre, simplement, comme tout le monde. Mais ce n’est pas tout, il sait aussi lire l’avenir, les rêves et les complots. Et des complots, Visions volées nous en présente quelques-uns.
"J’ai lu beaucoup de romans policiers", admet l’auteure, qui a su tisser une intrigue policière captivante et quelques scènes de violence des plus crédibles. Ces aspects du roman chevauchent aussi des questionnements sur la création littéraire ("J’avançais beaucoup à tâtons et c’est un peu l’effet des incertitudes qui se ressent à travers l’œuvre"), des réflexions sur la condition humaine, sur la condition des créateurs, leurs frustrations et leur rayonnement. On plonge également dans le monde de l’enfance et celui, difficile, de la pauvreté, de la perte des gens qu’on aime et de la perte ou de la sauvegarde de la dignité.
"Écrire un livre, c’est essayer d’écrire, c’est expérimenter. Ça donne lieu à toutes sortes de chapitres, à toutes sortes de promenades. Ces morceaux ne sont pas nécessairement volontaires, ils sont le fruit de l’écriture, qui fut une longue coulée, parfois très difficile, parfois semée de grands doutes créatifs." Le livre va dans de multiples directions, mais jamais on ne s’égare, tant la trame narrative est bien faite et le fil conducteur, toujours là, à hanter le lecteur.
Visions volées
de Rachel Leclerc
Éd. du Boréal
2004, 275 p.